Comprenez le Rif avant de le condamner!

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ChroniqueOui, les velléités d’indépendance ou de séparatisme ont toujours existé dans le Rif. Oui, la propension à l’insubordination aussi. Mais, en face, quelles sont les réponses qui ont été apportées au Rif ?

Le 27/05/2017 à 17h57

Ce qui se passe au Rif ne concerne pas que les Rifains mais tous les Marocains. Il faut en parler en appelant les choses par leur nom et éviter de jouer à cache-cache avec les mots et les gens. Mais il est impossible de comprendre ce qui se passe aujourd’hui sans revenir en arrière. L’histoire du Rif est particulière. C’est une terre de résistance et de colère. Depuis toujours. La difficulté du terrain montagneux et accidenté, la rudesse du climat, l’enclavement, tout cela a créé, depuis longtemps, un sentiment d’isolement. Et ce sentiment a été renforcé par la répression qui s‘est longtemps abattue sur la région.

Qu’elle soit le fait du Makhzen ou de l’occupation franco-espagnole, la répression a donné à ce sentiment d’isolement des accents d’humiliation. Une humiliation qui ressemble, aujourd’hui encore, à une blessure vive qui refuse de se refermer…

Longtemps considéré comme bled siba, c'est-à-dire une terre insoumise et rebelle à toute forme d’autorité, le Rif a connu de nombreux «Hirak». Ces Hirak sont des épisodes d’insubordination populaire. Les tribus ne paient plus leurs impôts et vont parfois jusqu’à assassiner un envoyé du Makhzen, pour exprimer leur colère et leur refus des injustices qui s’abattent sur eux.

Au Rif, comme ailleurs, la réponse au Hirak populaire est une Harka. C’est une expédition punitive, militaire, généralement conduite par le sultan en personne, qui se déplace avec son armée mais aussi avec ses juges, ses négociateurs, ses Uléma, ses commerçants. Le sultan arrive avec une épée et une main tendue. Il punit les insoumis et les invite, par la même occasion, à tourner la page…

Avant de refermer cette parenthèse historique, il faut relever un point extrêmement important. Contrairement à d’autres régions ou villes rebelles qui, au plus fort de l’insubordination, ont fini par ressembler à des émirats plus ou moins autonomes, mais sans administration ni aucune organisation moderne, le Rif a connu l’épisode Abdelkrim Khattabi. Qui a établi, pour un moment, une «république».

La république d’Abdelkrim ne ressemble pas à une vraie république dans le sens actuel du terme. Elle était loin même des standards de l’époque (les années 1920). Mais il y avait malgré tout une intention, une tentative, de fonder un Etat dans le sens moderne du terme. Une république au cœur de la monarchie… Cette tentative a échoué, elle est restée sans lendemain. Mais le Rif n’a jamais oublié cette parenthèse. Et il est impossible d’oublier cet épisode pour comprendre ce qui se passe aujourd’hui.

Tout cela, c’est le poids de l’histoire. Ce poids n’est pas négligeable. Il produit une accumulation, une tradition, une culture. Il forge aussi une mentalité, une attitude, une série de comportements collectifs et individuels. Il en reste forcément quelque chose, comme un héritage qui se transmet et ne se perd pas facilement au fil des générations.

Oui, les velléités d’indépendance ou de séparatisme ont toujours existé dans le Rif. Oui, la propension à l’insubordination aussi. Mais ne nous cachons pas derrière la fatalité de l’histoire ou de la culture, posons-nous plutôt la question : en face, quelles sont les réponses qui ont été apportées au Rif ?

Un ami rifain m’a dit, un jour : «On voulait une république, à la place on a du haschich». La boutade résume le sentiment de frustration qui anime la région. Depuis l’indépendance, le Rif n’a pas l’impression d’avoir reçu sa part du gâteau. La culture du kif et de ses dérivés fait partie des principaux axes «économiques» de la région. Avec les fruits de la contrebande et les revenus de la diaspora rifaine en Europe. Sans être la région la plus pauvre du royaume, le Rif ne bénéficie pas des attributs économiques de la modernité. Industrie, tourisme, services, etc. Tout cela reste largement sous-développé.

Les réponses données au Rif n’étaient jamais les bonnes. Jusqu’aux années 2000, la région a été tenue à l’écart du développement économique. Elle a subi une répression terrible dans les années 1950 et 1980. La route de l’Unité, censée la désenclaver dès la post-indépendance, a été un fiasco. Et, jusqu’à une époque récente, il était mal vu, voire quasiment interdit, d’afficher le portrait d’Abdelkrim, la fierté du Rif…

Il faut faire la part des choses entre ceux qui condamnent aujourd’hui le Rif et le résument aux gestes et faits de Nasser Zefzafi, et ceux qui frissonnent à l’idée d’une révolution. Gardons notre calme. Comprenons. Le Rif n’a pas fini de panser ses blessures. Et le Maroc n’a pas fini de lui rendre justice.

En plus de ce contexte historique qu’il est impossible de ne pas prendre en compte, les événements d’Al Hoceima se sont nourris de deux réalités : la mort tragique de Mouhcine Fikri, broyé par un camion poubelle, et le blocage gouvernemental qui nous plongé dans six mois de vide politique et qui a laissé la région sans interlocuteur véritable. La colère a perduré, enflé. Elle a pris des accents sociaux et aujourd’hui politiques. Et inquiétants, très inquiétants…

Même si elle a accouché au passage d’un Robin des bois (Zefzafi) aux méthodes extrémistes, même si elle a parfois dérapé, et même s’il est indispensable de faire respecter l’autorité de l’Etat et de ses institutions, il faut comprendre cette colère et l’écouter. Parce qu’elle est, à la base, légitime.

Par Karim Boukhari
Le 27/05/2017 à 17h57