La violence, il ne faut pas la maquiller mais la refuser!

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ChroniqueLe pire est de dire aux femmes battues: c’est de la routine, maquillez vos bleus, et tout ira pour le mieux!

Le 27/11/2016 à 17h39

Alors que le monde célébrait la journée contre la violence faite aux femmes, la télévision marocaine diffusait une émission de conseils pratiques pour maquiller les violences subies par les femmes. Incroyable! Comme si l’idée était de dire: "Femmes battues, maquillez vos bleus et tout ira pour le mieux!".

Le but ici n’est pas de jeter la pierre aux concepteurs de l’émission, ni aux diffuseurs, qui ont eu l’élégance de publier un communiqué d’excuses. Le plus important est de comprendre que le propos de cette émission et son timing «parfait» sont une normalisation implicite de la violence, présentée comme une péripétie ordinaire de la vie de femme.

C’est inacceptable. Il faut comprendre cela et dire attention. Attention à ce que nous servons comme discours et comme message au public et à la société marocaine.

Peut-être inconsciemment, ou involontairement, l’émission de 2M a réveillé quelques vieux démons de la société marocaine. Elle a pour ainsi dire flatté et conforté le pire en nous.

Classiquement, quand une femme battue plie bagages et se réfugie chez ses parents, on maquille ses bleus et on lui conseille de rentrer chez son mari, qui vient pourtant de la battre comme une bête sauvage. Le premier réflexe n’est pas de s’insurger contre la violence, de recourir à la justice, à la loi, mais de maquiller les faits, de se soumettre, d’accepter le fait accompli et de prier.

C’est ce que demande la société. Elle le demande à la femme, invitée à prendre sur elle et à passer l’éponge. Elle lui dit: "Fais-le pour préserver ton couple, fais-le pour tes enfants, il te frappe mais il ne laisse personne d’autre te frapper!".

Ce n’est plus la violence qui est au cœur du problème mais son caractère visible. On ne réprime pas la violence, on se contente d’effacer ses traces, de réduire sa portée. On étouffe et on passe sous silence la douleur du corps, de l’âme, on s’inquiète davantage du dérèglement de l’apparent, de l’image, du «qu’en dira-t-on».

Une femme battue devient au final une femme à maquiller, à cacher. Après tout, pense-t-on, ses bleus sont la preuve qu’elle a désobéi à son mari, défié son autorité, provoqué sa colère.

C’est le monde à l’envers. La violence subie par la femme devient une source de honte pour la femme, sa famille, son entourage. La victime devient coupable. Elle est coupable de porter des bleus. Les bleus de la honte. Des bleus à cacher et à maquiller.

En face, la société ne demande pas grand-chose au mari violent: elle prie pour qu’il retrouve son calme et tolère au passage sa violence, comme si elle faisait partie des attributs naturels de la masculinité…

Si une partie de la société marocaine pense encore cela, le rôle de la télévision publique n’est pas de la flatter mais de la réveiller, de la secouer, de la tirer vers le haut.

Parce que le pire est de se dire: ce n’est rien, la société marocaine est ainsi faite, ce n’est que de la télévision.

Par Karim Boukhari
Le 27/11/2016 à 17h39