Le recours au roi n’est pas la solution

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ChroniqueChaque appel au roi est en fait un aveu d’échec. Il ne règle pas le problème de fond. Au contraire, il maintient l’appareil de la justice dans son sous-développement.

Le 29/07/2017 à 16h56

J’ai regardé avec consternation la vidéo d’un petit garçon dont la maman est emprisonnée, et qui en appelle au roi. Pourquoi suis-je consterné ? D’abord parce que la maman ne doit pas être en prison mais chez elle, ou à son bureau, à côté de son enfant et de ses amis. Ensuite parce que le recours au roi devient une sorte d’exercice lassant à la fin.

Bien sûr, tous ceux qui ont eu la douleur d’avoir un parent ou un ami en prison le savent très bien: tous les moyens sont bons pour le sortir de «là». J’en connais qui ont soudoyé ou tenté de soudoyer des juges, des avocats, des intermédiaires. Beaucoup ont sombré dans le n’importe quoi. Comment leur en vouloir ? Ils ont fait le pire parce que, dans leur tête, ils espèrent le meilleur: revoir leur parent, le prendre dans les bras.

C’est humain. Ne dit-on pas que la fin justifie les moyens ? Et puis qui douterait de la sincérité d’un pauvre enfant injustement privé de sa mère ? Qui aurait envie, décemment, de s’interposer entre lui et son souhait le plus cher, retrouver enfin, enfin, sa mère ?

Si les intentions et le geste sont humains, trop humains, qu’en est-il de la manière: une vidéo tournée et montée comme un clip ou un petit film avec effets et tout et tout… Nous ne sommes malheureusement plus face à un cri du cœur mais à un clip, quelque chose d’artificiel, un tire-larme archi calculé et finalement un «spectacle». C’est le plus consternant dans l’affaire.

Au-delà de cet aspect des choses, et sur le fond, il y a des questions à se poser sur ce recours au roi. Je devrais dire «ces» recours au roi, parce qu’ils sont légion. Où va-t-on comme ça ?

J’ai assisté à une scène de rue. Une femme et son gosse en bas âge. Devant eux, un attroupement. La maman pleure et explique, en se lacérant les joues, qu’elle vient d’être expulsée de son logement. Elle ne sait où aller. Elle crie le nom du roi : «Je veux que Mohammed VI me rende justice, qu’il me couvre moi et ma petite famille. Je veux Mohammed VI !».

Devant l’injustice, l’appel ou le recours au roi est tout de suite envisagé. Sans transition. Nous sommes comme dans une cour des miracles: les suppliciés arrivent et en appellent au ciel en se mettant dans tous leurs états. La réparation ou la justice devient affaire de miracle et de providence: un geste du ciel, un geste du roi, et tout rentrera dans l’ordre.

Dans ce schéma-là, l’appareil de la justice devient et reste une simple machine à condamner les gens, même quand ils sont innocents.

Dans ce schéma-là, il n’y a aucune place pour la modernité, pour les institutions, et pour ce qui fait le fondement même de la société évoluée: la raison.

Un miracle divin ou une grâce royale ne rétablissent pas la justice. Ce sont des gestes de pardon, de compassion, des gestes qui effacent, qui corrigent, leur but est d’atténuer la douleur d’une victime ou d’une personne qui souffre. Mais ni la grâce royale ni le miracle divin ne font avancer le schmilblick. 

Le schmilblick en question, c’est la justice, c’est l’équité, c’est le droit, c’est le Maroc des institutions qui fonctionnent. C’est le Maroc moderne ou qui se veut moderne.

Chaque appel au roi est en fait un aveu d’échec. Quand le roi répond favorablement par une grâce ou une mesure d’allègement, il fait bien sûr le bonheur d’une personne et de sa petite famille. Et c’est louable. Mais il ne règle pas le problème de fond. Au contraire, il maintient l’appareil de la justice dans son sous-développement.

Pour revenir à Hind El Achabi, puisque c’est d’elle qu’il s’agit, j’espère qu’elle retrouvera bientôt ses enfants et sa vie mais à l’issue d’un procès qui lui rend justice et la réhabilite. J’espère aussi que les jeunes détenus du Hirak d’Al Hoceima recouvreront très vite leur liberté, quand la justice aura prononcé un non-lieu. 

Même quand elles sont épineuses, même quand elles sentent le règlement de compte ou l’acharnement personnel, même quand elles sont politiques, les injustices sont d’abord des affaires de droit. C’est à la justice et aux tribunaux de rétablir les citoyens dans leurs droits.

Dans un pays qui aspire au progrès et à la modernité, le recours au roi n’est pas et ne sera jamais une solution.

Par Karim Boukhari
Le 29/07/2017 à 16h56