Pour que la langue arabe ne soit plus un outil de sous-développement

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ChroniqueIls défendaient une seule langue comme on pouvait défendre, dans le temps, un seul parti, une seule foi, etc. Ils disaient : «soyons unis en tout, chassons la différence, la pluralité, la mixité, chassons la fitna!»

Le 08/09/2018 à 16h05

Le problème de la langue arabe, c’est qu’elle est défendue par des gens qui la considèrent comme un objet sacré. Il ne faut pas la toucher, il ne faut pas la souiller. Parce que c’est un péché?

Ces gens ignorent que la langue arabe a bien évolué depuis le temps des premiers Arabes. Ils ignorent aussi que le parler arabe a influencé bien des langues vivantes, étrangères. Et fort heureusement, d’ailleurs.

Quand on ouvre un dictionnaire français, on retrouve quantité de mots arabes, souvent empruntés au dialecte et au parler de tous les jours. C’est tant mieux, personne ne s’en plaint. Ces mêmes mots n’arrivent pourtant pas à « pénétrer » le dictionnaire arabe. Parce qu’il ne faut pas déranger la belle au bois dormant, la sainte-nitouche : la langue arabe verrouillée et montée par une garde armée jusqu’aux dents!

Ceux qui crient au loup devant ce qu’ils appellent la darijisation / profanation de la langue arabe sont les mêmes qui combattaient, hier, les langues étrangères au Maroc. Ils partent toujours du principe que le moindre apport extérieur est une menace pour la langue arabe, que cet apport vienne de la langue française ou de la darija, considérée comme une sous-langue vulgaire et destinée à crétiniser les masses.

Ce sont les mêmes, aussi, qui ont longtemps retardé la réhabilitation de la langue amazighe. Ils défendaient une seule langue comme on pouvait défendre, dans le temps, un seul parti, une seule foi, etc. Ils disaient: «soyons unis en tout, chassons la différence, la pluralité, la mixité, chassons la fitna!»

Vous l’avez peut-être compris mais ce débat-là nous emmène bien au-delà des frontières de la langue, ou des langues. Au Maroc, cette question a toujours été passionnée et, pire encore, idéologisée. Elle charrie des valeurs, des symboles, mais aussi des clichés et des idées vieilles comme le monde.

En gros, nous avons grandi avec l’idée que l’arabe est la langue de la tradition, du savoir religieux, et de ce cordon ombilical qui nous relie à la culture et à la géographie du monde arabe. Dans le même temps, nous avons d’abord perçu le français comme une greffe liée à l’occupation du Maroc, ensuite comme la langue des élites économiques, du savoir scientifique et finalement de la modernité.

En gros, l’arabe pour le peuple, le français pour l’élite.

Depuis le protectorat, cette idée perdure et prospère. Elle lie l’arabe à des questions d’identité et d’appartenance. D’où son caractère soi-disant sacré. Le retour de la darija (qui reste, quoi qu’on en dise, la première et la plus ancienne «langue» du pays) et de l’amazigh sont considérés comme des assauts menés contre la langue arabe. Et c’est le lobby francophone, d’essence colonialiste, qui manipulerait les assaillants, empressé d’en finir avec l’Arabe en nous.

Ça nous emmène loin, tout ça…

Voilà pourquoi l’introduction, en cette rentrée scolaire, de quelques vocables en darija a créé tout un débat et une polémique autour des manuels scolaires. Trois petits mots ont déclenché une tempête…

Les gardiens du temple crient au complot. C’est tout ce qu’ils savent faire. Mais la tempête passera. Alors on pourra expliquer à ces gens, très tranquillement, ceci : il n’y a pas de langue pure ou impure. Il n’y a pas de guerre des langues. La seule guerre à mener est celle contre l’analphabétisme, qui touche encore de très larges pans de la société marocaine. Laissez la langue arabe s’ouvrir sur son environnement, laissez-là respirer, évoluer, rajeunissez-là, c’est un mal nécessaire, qui lui fera le plus grand bien.

En cadenassant cette langue magnifique, ce n’est pas la langue arabe que vous défendez mais la fermeture des esprits. Ouvrez les yeux, vous êtes en train de faire de cette belle langue un outil de sous-développement.

Par Karim Boukhari
Le 08/09/2018 à 16h05