Soyons sérieux, rions!

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ChroniqueSi l’ironie est une affaire sérieuse, il ne faut surtout pas oublier d’en rire. Merci !

Le 19/03/2016 à 19h10

J’ai lu avec amertume le dernier billet de Fouad Laroui, dont le titre est aussi triste que les rendus d’un jugement de tribunal : "Adieu à l’ironie!". Mon Dieu ! J’ose espérer que c’est du second degré et que l’adieu en question n’est qu’un clin d’œil ou, mieux encore, un tendre bisou sur la joue de notre si chère ironie. Chère et pas toujours comprise. N’est-ce pas !

L’ironie est à la littérature ce que…la tactique du hors-jeu est au football. C’est une astuce de renard et un piège magnifique pour «gagner» à coup sûr. Mais il arrive aussi que le piège se retourne contre son géniteur. Quand cette renardise est appliquée avec succès, on crie au génie. Mais dès qu’elle coince, on prend l’eau de partout et le résultat est une catastrophe.

Pour rester dans les comparaisons avec le monde du football, les écrivains, les éditorialistes et les chroniqueurs vedettes ressemblent un peu à des joueurs de pointe. Leur mission est de marquer des buts. Ils sont adulés, mais on ne leur pardonne rien. Quand ils marquent, on les célèbre comme des dieux et, au fond, on trouve cela normal. Mais quand ils se loupent, on devient amnésique et on insulte leurs mères.

Comme l’a si bien dit notre cher Fouad Laroui, nous sommes pourtant un pays de "noukate". On se raconte des blagues comme on dit bonjour. Un chauffeur de taxi m’expliquait, l’autre jour, que les Marocains consacrent plus de temps, dans la journée, à se raconter des blagues qu’à se dire bonjour, s’il vous plait ou merci. Je lui ai demandé : «C’est vrai ?». Il m’a répondu : «Non, c’est une blague !». J’ai trouvé cela drôle, alors je lui ai payé deux fois le prix de la course. Et il ne m’a pas dit merci!

Je rappelle que le plus grand (par son retentissement et par la lourdeur des peines prononcées) procès de la presse marocaine du 21ème siècle reste le procès «Nichane», ce turbulent hebdomadaire darijophone qui a cessé d’exister malgré son succès éditorial. En 2007, deux de ses journalistes ont été condamnés à plusieurs années de prison avec sursis pour avoir publié un dossier de «noukate n». Comme si le rire était le crime numéro 1 de l’écrit.

Au fond, notre problème n’est pas avec le rire mais avec l’écrit. Peut-être parce que l’écrit laisse une trace et marque plus durablement. Peut-être aussi parce que l’écrit circule, se partage et atteint des cibles inattendues.

Dans une société comme la nôtre où l’oralité constitue la seule littérature à succès, le rire est roi. Parce que libre de droits et non censuré. Le passage à l’écrit lui enlève son immunité et en fait une affaire grave, sérieuse, très morale. Et là, ça ne pardonne pas!

Amusez-vous à éditer un recueil de vos blagues préférées, celles qui vous font hurler de rire parce que non censurées : il y aurait de quoi vous envoyer plusieurs années en prison!

Par Karim Boukhari
Le 19/03/2016 à 19h10