Une loi en retard de 14 siècles!

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ChroniqueLes Marocains refusent d’appliquer certaines lois… et refusent de les abroger. A commencer par les lois sur l’héritage.

Le 06/12/2015 à 13h12

Le débat actuel sur l’héritage soulève des questions de toute première importance. On ne le réalise peut-être pas assez, mais le monde nous observe et nous attend sur cette question. Pourquoi? Parce que l’héritage est la base même de l’égalité entre les individus, et surtout entre les femmes et les hommes. Et le Maroc, comme d’autres pays arabes et musulmans, accuse un retard de plusieurs siècles sur cette question.

La loi marocaine se réfère à des textes religieux rédigés dans un tout autre contexte que le nôtre aujourd’hui, et qui est celui de l’Arabie du VIIe siècle.

C’est peu dire que notre vie a changé depuis. Il y a donc quatorze siècles, le fonctionnement de la cellule familiale était particulier: les hommes partageaient leur temps entre guerroyer et travailler, ils étaient majoritairement polygames et ils avaient en charge plusieurs familles à la fois. Pour faire vite, ils avaient tous les droits. Les textes religieux sont venus mettre de l’ordre dans tout cela et leur philosophie dite «tige, demi-tige» était assez audacieuse pour l’époque. Elle a donné à la femme un «demi-droit» là où elle n’en avait pas.

Quatorze siècles plus tard, c'est-à-dire aujourd’hui, tout a changé, sauf la loi. Les femmes travaillent autant que les hommes et la polygamie est «pratiquée» par moins de 1% des hommes. Les textes religieux, qui étaient si audacieux dans le passé, sont devenus obsolètes et totalement hors sujet. Mais ils sont toujours appliqués à la lettre!

Alors, les gens s’adaptent. C’est une spécialité marocaine. Au lieu de changer une loi injuste, les Marocains la contournent. Ils s’arrangent, via des moyens détournés (assurance-vie, dons et cessions, délégations), pour faire hériter leurs filles. Ces moyens détournés sont pratiqués au su et au vu de tout le monde. Le législateur marocain les connaît. Mais il ferme les yeux.

Les lois sur l’héritage rejoignent ainsi le long cortège des lois anachroniques, constamment violées mais jamais abrogées. Des relations sexuelles à la consommation d’alcool, en passant par les textes régissant l’adoption ou l’avortement, toutes ces lois se heurtent à l’obstacle des édits religieux. Nous sommes dans une société qui a beaucoup évolué avec le temps et qui n’est plus du tout conforme avec un bon paquet de lois. Nous le savons, nous en sommes tous conscients. Mais nous préférons faire avec. Alors qu’il est possible de réformer les lois, nous préférons les violer.

C’est ainsi que l’on se retrouve, pour une bonne partie de la population de ce pays, à vivre en hors-la-loi. Nous sommes des hors-la-loi tranquilles, pépères… et schizophrènes en plus. Il suffit que quelqu’un crie au scandale et demande à réviser les textes pour qu’on le cloue au pilori. C’est ce qui s’est passé, récemment, quand Driss Yazami, au nom du CNDH, a proposé de mettre les lois sur l’héritage à niveau. Au lieu de le soutenir, la majorité l’a descendu en flammes, à commencer par le Chef de gouvernement qui a été à deux doigts de l’excommunier.

Il suffit pourtant de comptabiliser le nombre de Marocains qui violent ces lois pour se décider à les abroger les yeux fermés!

Par Karim Boukhari
Le 06/12/2015 à 13h12