Islam, terrorisme et jihad: le message du roi Mohammed VI à l’Occident

MAP

ChroniqueLe roi Mohammed VI a prononcé, samedi 20 août 2016, un discours fort qui réitère et souligne les grandes lignes de la politique étrangère du Maroc, mais met aussi en perspective sa vision pour contrer le fléau du terrorisme qui menace tous les pays du monde.

Le 25/08/2016 à 11h04

Le roi a profité de l’occasion pour insister sur la priorité que le Maroc donne à sa politique africaine et sa détermination à jouer un rôle de premier plan dans le développent du continent africain. Le discours a aussi été une occasion pour le souverain de tendre la main à l’Algérie et l’appeler à reconsidérer ses positions hostiles envers le Maroc afin de construire un avenir meilleur pour les peuples du Maghreb.

Ceci étant dit, ce qui frappe le plus quand on lit attentivement le discours, ce ne sontpas les passages où le roi parle de la politique africaine du Maroc, de sa main tendue vers l’Algérie ou de sa politique migratoire, mais surtout la partie consacrée à sa condamnation sans équivoque du terrorisme et sa définition de la position de l’islam par rapport aux notions de jihad et de martyr.

Courage et franc-parler du Commandeur des croyants

Le ton que le roi a adopté quand il a évoqué la question du terrorisme et du jihad tranche avec le silence de tous les dirigeants des pays musulmans. Alors que les dirigeants des autres pays musulmans se murent dans le silence devant les drames que le terrorisme cause à travers le monde, c’est la première fois qu’un leader musulman, en sa qualité de Commandeur des croyants, adopte un langage aussi direct et aussi virulent à l’encontre des terroristes, en les excommuniant.

«Les terroristes qui agissent au nom de l’islam ne sont pas des musulmans et n’ont de lien avec l’islam que les alibis dont ils se prévalent pour justifier leurs crimes et leurs insanités. Ce sont des individus égarés condamnés à l’enfer pour toujours», affirme le roi.

En mettant l’accent sur le fait que les terroristes ne sont pas musulmans et qu’ils «sont condamnés à l’enfer», le roi a eu le courage de les mettre en dehors de la communauté musulmane et d’aller à contre-courant d’une pensée obsolète selon laquelle on ne peut pas excommunier une personne à partir du moment où elle fait profession de foi.

Quand il a évoqué la question du terrorisme avec des textes du Coran à l’appui, le souverain a cherché, en premier lieu, à contrecarrer le matraquage médiatique et la diabolisation qui ont visé ces derniers mois les communautés musulmanes, résidentes en Europe et aux Etats-Unis et, plus particulièrement, la communauté marocaine.

Le roi s’est adressé pour la première fois à la diaspora marocaine, l’a exhortée à être à l’avant-garde des défenseurs de la paix, en précisant que le terrorisme est étranger aux traditions de l’islam au Maroc. A travers ce message, Mohammed VI cherche en filigrane à réfuter les accusations prononcées dernièrement par le candidat à la présidentielle américaine, Donald Trump, qui a accusé le Maroc d’une manière indirecte, d’être un pays qui exporte les terroristes.

Le roi, qui est aussi Commandeur des croyants, a assumé pleinement son rôle de leader religieux et a appelé la communauté marocaine à travers le monde à s’inspirer des préceptes de sa religion qui appelle les croyants à vivre en harmonie avec les autres, indépendamment de leurs convictions religieuses. Là aussi, c’est la première fois qu’un chef d’Etat musulman exhorte ses concitoyens à donner le meilleur d’eux-mêmes et à respecter les lois de leurs pays d’accueil.En évoquant les tragédies que cause le terrorisme, le roi a annoncé explicitement que le Maroc fait partie des premiers pays visés par ce fléau.

Le terrorisme islamiste condamné par les musulmans

En second lieu, le discours vise aussi à donner une réponse on ne peut plus claire aux médias et aux analystes occidentaux qui soulignent souvent le manque de voix musulmanes condamnant le terrorisme. A travers les appels lancés par ces médias durant les dernières années, exhortant les musulmans à se démarquer des actes terroristes commis au nom de l’islam, le but recherché est de montrer que l’absence de voix condamnant le terrorisme dans les termes les plus clairs prouve que la violence et le terrorisme sont inhérents à l’islam.

Le ton adopté par le roi quand il évoque la question du Jjihad et les règles qui le régissent, ainsi que les conditions dans lesquelles il est appliqué veut signifier à qui veut l’entendre que l’essence même de l’islam est contraire à l’agression, au meurtre des innocents, indépendamment de leurs appartenances religieuses. Le roi a été clair quand il a mis l’accent sur le fait que l’appel au jihad ne peut être ordonné qu’à travers les autorités religieuses compétentes et seulement dans des cas d’autodéfense.

La dénonciation de la manipulationA travers les textes religieux qu’il a mis en avant pour corroborer son propos, le roi, en sa qualité de Commandeur des croyants, enlève aux groupes terroristes tels que Al- Qaïda et Daech toute légitimité religieuse pour lancer un appel au jihad ou représenter la communauté musulmane. Pour le monarque marocain, ces groupes ne sont guère plus que des bandes de criminels avides de pouvoir et assoiffés de sang qui cherchent, à travers la manipulation et le mensonge, à attirer des jeunes musulmans en perte d’identité en Europe ou dans les pays musulmans ou en quête d’une aventure qui puisse donner un sens à leur existence. 

En évoquant des textes du Coran et en mettant l’accent sur le fait que les groupes de terroristes exploitent le désarroi, la perte d’identité et l’ignorance de la langue arabe chez certains jeunes musulmans, notamment en Occident, le roi cherche à dire en clair que ces terroristes ne peuvent en aucun cas être considérés comme des musulmans et que l’islam ne pourrait être accusé d’être un terrain fertile qui encourage le terrorisme.

Plutôt que d’appeler à la réforme de l’islam que certains pseudo-experts occidentaux appellent de leurs vœux, le roi tranche avec ce discours et montre que le problème ne réside pas dans l’islam, mais dans la manipulation dont certains jeunes musulmans égarés font l’objet de la part des groupuscules terroristes. Dans le même temps, quand il en appelle aux musulmans, aux chrétiens et aux juifs à s’unir face à la menace terroriste et contre la stigmatisation et l’exclusion, il adresse un message indirect aux médias occidentaux et les exhorte à reconsidérer la manière dont ils traitent la question du terrorisme et leur tendance à assimiler l’islam et les musulmans au terrorisme.

Le message que le discours royal cherche à transmettre est que l’islam n’est pas la cause du terrorisme, mais l'une de ses premières victimes, à cause de ce qu’il a appelé les «mécréants» qui ne font que «colporter le mensonge au nom de Dieu et du Prophète». D’où la nécessité que les médias et les observateurs occidentaux cherchent une nouvelle grille de lecture pour comprendre le fléau du terrorisme, loin de toute diabolisation de l’islam et de toute déshumanisation des musulmans.

Crédibilité du discours royal

Ce qui confère autorité, crédibilité et légitimité au discours royal est, non seulement son statut de Commandeur des croyants, mais aussi les efforts que le Maroc a consentis durant les dernières années pour lutter contre toutes les formes d’extrémisme et promouvoir la coexistence entre les cultures. A cela, s’ajoute la pratique d’un islam basé sur les valeurs de paix, de fraternité et de tolérance.

Contrairement aux autres pays qui font du tout sécuritaire le principal pilier de leur stratégie de lutte contre le terrorisme, le Maroc a choisi le chemin de la lutte contre l’extrémisme à travers la promotion des valeurs de paix et de coexistence prêchées par le Coran et la tradition du Prophète.

Dans le sillage des attentats du 16 mai 2003 à Casablanca, les autorités marocaines ont pris une série de mesures qui ont prouvé leur efficacité dans la lutte contre la terreur et ont fait du Maroc l'un des rares pays épargnés par les actes de terrorisme durant les dernières années.

Réalisant que le message prêché dans beaucoup de mosquées marocaines durant les années quatre-vingt et les années quatre-vingt-dix allaient à l’encontre de la pratique de l’islam au Maroc, les autorités marocaines ont repris le contrôle des mosquées. Depuis, aucune mosquée n’échappe au contrôle du ministère des Habous et des Affaires islamiques et tous les imams et personnels de ces lieux de culte sont nommés par les autorités compétentes.

Cette mesure a été accompagnée par la décision de lancer la radio et la chaîne Mohammed VI du Saint Coran dont le but affiché est d’inculquer aux Marocains les véritables valeurs de l’islam et de les prémunir contre toute tentative de déviation ou manipulation par les extrémistes. En sus, s’ajoute la décision de réhabiliter certaines figures de proue de l’extrémisme au Maroc, telles que Mohammed Fizazi, Hassan El Kettani, Omar El Haddouchi, qui avaient tous été arrêtés à la suite des attentats de Casablanca et condamnés à trente ans de prison.

Par ailleurs, sous l’impulsion du roi, le Maroc a lancé en 2014 un vaste programme visant à transformer les mosquées en un espace de formation des imams et d’apprentissage des préceptes nobles de l’islam. Pour donner plus de consistance à ce projet, le roi Mohammed VI a inauguré, en mars 2015, l’Institut Mohammed VI pour la formation des imams, et en juin 2015 la Fondation Mohammed VI des oulémas africains.

Cette stratégie du «soft power» a permis au Maroc de consolider son rôle de modèle mondial dans la lutte contre l’extrémisme et la promotion des valeurs de paix, de tolérance et de respect mutuel. Ce n’est donc pas un hasard si plusieurs pays africains et européens, tels que la France, la Belgique ou l’Italie, sollicitent le Maroc pour la formation de leurs imams et s’inspirent de son modèle de lutte contre le terrorisme.

En définitive, le discours royal a eu le mérite de relancer le débat sur la pertinence des analyses dominantes en Occident quant à la relation de cause à effet entre l’islam et le terrorisme. De plus, grâce à l’écho qu’il a eu à l’échelle internationale, le Maroc consolide sa position de modèle mondial dans la lutte contre le terrorisme et le fanatisme religieux et porte-drapeau des véritables valeurs de paix et tolérance prêchées par l’Islam. La diplomatie marocaine devrait profiter de l’élan créé par ce discours pour faire de la diplomatie religieuse l'un des outils majeurs de la projection internationale du Maroc et pour hisser le royaume au rang d’un interlocuteur privilégié de la communauté internationale dans la lutte contre l’extrémisme et la promotion des valeurs du vivre ensemble et de tolérance.

Par Samir Bennis
Le 25/08/2016 à 11h04