La fatwa des piercings

Fouad Laroui. 

Fouad Laroui.  . DR

ChroniqueL’un des jeunes venait de montrer discrètement à son ami une petite punkette percée de piercings et qui cliquait métalliquement pas loin de nous à cause des cahots du wagon. Il affirma alors à l’autre que l’imam auto-proclamé de son quartier venait justement de pondre une fatwa contre les piercings.

Le 06/07/2016 à 12h00

Hier, j’étais dans le métro d’Amsterdam, rentrant dans mes pénates après une dure journée de labeur – ah là là, que ne suis-je pas rentier ou l’héritier d’Onassis… – lorsque deux jeunes Néerlandais d’origine marocaine vinrent s’asseoir en face de moi. Pendant que la rame s’ébranlait de nouveau, ils se mirent à bavarder dans ce délicieux sabir des Marocains du monde, fait du mélange baroque de deux ou trois langues et d’autant de dialectes. Je les écoutais distraitement, n’ayant rien de mieux à faire. Allons, la rumeur du monde n’est pas forcément inepte.

Et tout à coup, je dressai l’oreille. L’un des jeunes gens, nommons-le Abdelmoula, venait de montrer discrètement à son ami une petite punkette percée de piercings et qui cliquait métalliquement pas loin de nous à cause des cahots du wagon. Il affirma alors à l’autre, baptisons-le Jilali (mon prénom favori), que l’imam auto-proclamé de son quartier venait justement de pondre une fatwa contre les piercings.

La discussion devenait intéressante. L’incongru venait de s’inviter parmi nous. On pouvait s’attendre à tout.

Jilali fronça le sourcil: «Qu’est-ce que les piercings ont à voir avec l’islam ?» Abdelmoula hocha la tête : «C’est ce que nous lui avons demandé, à l’imam. Après tout, il n’y avait pas de piercing à l’époque d’Abou Houraira et des autres. D’où sort-elle, cette fatwa ? C’est alors qu’il nous a affirmé qu’il fallait chercher la science fût-ce en Chine, n’est-ce pas, qu’il avait fait son travail de recherche et qu’il avait trouvé une justification scientifique à ce qu’il avançait: le piercing est haram pour éviter au musulman d’être frappé par la foudre.»

Foudre! Voilà qui est puissamment raisonné, me dis-je in petto. Benjamin Franklin, inventeur du paratonnerre, n’aurait pas fait mieux. Continuons d’ouïr ces deux zigotos. Abdelmoula enfonça le clou (si j’ose dire, vu le sujet…) :- Le métal attire les éclairs. Si les païens veulent être conducteurs électriques, c’est leur problème. Il a raison, l’imam.

Jilali était perplexe. Il brûlait (si j’ose dire…) d’en savoir plus. Y avait-t-il des cas dûment recensés, documentés, de bipèdes frappés par la foudre (divine) à cause de leurs piercings? Abdelmoula botta en touche: qu’il y eût ou qu’il n’y eût point de cas avéré n’était pas important, l’imam s’inquiétait de la possibilité qu’un croyant fût foudroyé, même en l’absence de précédent. «Mais alors, demanda Jilali en reluquant la punkette, le piercing est permis s’il n’est pas conducteur électrique?». A quoi Abdelmoula répliqua, ahuri: «Tu en connais d’autres? Des en plastique, par exemple, ou en papier?». A quoi Jilali, buté, répondit…

Hélas, amis lecteurs, je n’ai jamais su ce que Jilali répondit et vous ne le saurez pas non plus, par conséquent, car j’étais arrivé à destination et je dus donc quitter le wagon. Je suis rentré chez moi assez déprimé. Qu’est-ce que c’est que cette histoire? Sommes-nous coincés entre une punkette morose qui rouille doucement et un imam farfelu qui brasse du vent? C’est ça, l’alternative?

Par Fouad Laroui
Le 06/07/2016 à 12h00