Le Maroc a sauvé ma peau

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ChroniqueSans le chercher, sans y prêter attention, toutes les régions du Maroc finirent par se retrouver dans ma salle de bain! Tout de même, moi dont les ancêtres ont fait les croisades, voilà que ma peau et mon corps se nourrissent quotidiennement de produits barbaresques.

Le 11/04/2018 à 11h02

Je me trouvais l’autre jour à Bordeaux pour y donner une conférence. Comme chaque fois que je me trouve dans une ville française, je ne tardai pas à tomber sur une brochette de compatriotes plus diplômés les uns que les autres (pas moins de trois agrégés de mathématiques cette fois-ci, plus un normalien) mais qui ont préféré faire carrière au pays de Poincaré plutôt que sur la rive du Bouregreg. Bon, on reviendra sur ce sujet une autre fois.

Non, ce qui m’a étonné cette fois-ci, ou plutôt enchanté, c’est cette dame au port de comtesse, très classe, qui m’a considéré d’un œil bienveillant après la conférence, lors du pot traditionnel. Une flûte de champagne à la main, jouant négligemment avec son triple rang de perles, elle m’a confié d’une voix un peu éthérée:

– Je n’ai pas compris grand-chose à votre propos, mon bon, surtout quand vous avez évoqué les mânes d’hommes de science du temps jadis (qui était ce Godel dont vous fîtes grand cas?), mais je tiens tout de même à vous dire ceci: votre pays natal a sauvé ma peau.

Je crus avoir mal compris.

– Le Maroc vous a sauvé la vie, Madame?

Elle haussa ses épaules dignes d’un Winterhalter.

– Ne soyez pas vulgaire. Je parle de ma peau, ce n’est pas une image, il est vraiment question de mon épiderme.

Pensant déjà au billet que je ne manquerais pas de tirer de cette anecdote, je susurrai :

– Vraiment? Et comment cela, chère Madame?

Elle posa sa flûte de champagne et joignit délicatement les mains.

– Il y a trois ans déjà (mon Dieu, comme le temps passe…), je décidai soudain de mener une vie plus saine, tant sur le plan spirituel –je redécouvris Dieu que j’avais un peu négligé jusque-là– que sur le plan matériel. J’embauchai un coach, c'était dans l’air du temps. Il vint, il vit, il s'évanouit –ou presque. Tout clochait dans ma routine matinale: mon shampooing et mon gel douche aux senteurs magiques, mes crèmes censées m’apporter la jeunesse éternelle, mon envoûtant parfum, mon maquillage, tout cela était l’abomination de la désolation.

Elle poussa un soupir à fendre l’âme.

– Le coach me fit la liste: mes parfums de synthèse étaient acides et plus chers que si les ingrédients avaient été authentiques. Tout, absolument tout, contenait de la glycérine. Or la glycérine assoiffe la peau et les cheveux, ce qui oblige à utiliser toujours plus de produit (plus de profit pour les firmes !). La plupart des ingrédients de mes pommades perturbaient mon système endocrinien. Les emballages représentaient 60% du produit et surchargeaient donc inutilement ma poubelle de déchets.

Elle secoua la tête, encore indignée par ce scandale puis reprit:

– J’ai alors décidé de tout changer. Je voulais donner le meilleur à ma peau: des huiles végétales couplées à des huiles essentielles pour le visage et le corps, de l’huile essentielle en guise de déodorant, de l’argile pour purifier le tout. Le coach me procura huile d’argan, huile de noyaux d’abricot, huile de pépin de figue de barbarie (sic), huile d'amande, eau de rose, eau de fleur d’oranger, rhassoul (j’appris ce mot exotique), savon noir, aker fassi (whatever that means), huiles essentielles de menthe, de Néroli, de thym et tant d'autres, épilation au sucre…

– Au sucre?

– Absolulu. Et voilà l’étrange fait: sans le chercher, sans y prêter attention, toutes les régions du Maroc finirent par se retrouver dans ma salle de bain! Tout de même, moi dont les ancêtres ont fait les croisades, voilà que ma peau et mon corps se nourrissent quotidiennement de produits barbaresques. Je m’en porte très bien! Bravo, le Maroc! Vous saluerez Bourguiba de ma part.

– Je n’y manquerai pas.

Elle leva sa flûte de champagne:

– Reconnaissance éternelle aux trésors du Maroc, qui sauvent la peau des gens et probablement leur vie, en court-circuitant l'industrie des produits chimiques qui les empoisonnent à petit feu!

Après avoir bu, elle soupira, l’air songeur:

– Tout de même… Moi qui descends de Saint Louis, j'ai la peau 100% marocaine ! Qui l'eût cru?

Par Fouad Laroui
Le 11/04/2018 à 11h02