Les marocanologues vont-ils s’excuser?

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ChroniqueQuant aux marocanologues qui avaient prédit il y a vingt ans le chaos entre Tanger et Lagouira, la dislocation de l’État, le retour de l'année du typhus et du printemps des sauterelles, où sont-ils maintenant?

Le 24/01/2019 à 21h18

Il y a vingt ans, le Maroc changeait d’ère –ou changeait d’air– et aussitôt les marocanologues s'abattirent sur nous comme la misère sur le pauvre monde; nous avions pourtant assez de problèmes comme ça… Ce fut une avalanche de livres aux titres apocalyptiques, genre “Demain l’islamisme ouh là là !“, “Al Qaida-sur-Bou-Regreg“, “La fantasia dantesque“, “Le couscous de la mort“, “Le dernier pacha“, “Le guerrab et le djihadiste“ etc. [Je contrefais les titres à la demande de la direction du 360.ma pour lui éviter des demandes abusives de droit de réponse.]

Le point commun de tous ces livres était qu’ils ne donnaient pas cher de la peau du lion de l’Atlas. Vermoulue et mangée aux mites, ladite peau, et c’était le Maroc tout entier à qui l’on promettait de finir fissa en descente de lit. En attendant, tous ces marocanologues s’essuyaient les pieds dessus.

“Pornographie politique!”, fulminait en privé notre plus grand historien-philosophe. Certes, mais “ça eut payé”, comme eût dit le regretté Fernand Raynaud, car un certain public raffolait apparemment de ce genre de politique-fiction qui promettait les pires catastrophes… à autrui. L’enfer, c’est pour les autres.

Vingt ans ont passé. L’Empire chérifien n’est pas le paradis sur Terre, tant s’en faut, mais enfin il n’a pas été englouti par les flots comme bientôt les Maldives, ni n’est devenu un État failli comme la Somalie, le Venezuela ou la Libye, ni n’a disparu comme l’autrefois fière Yougoslavie. Il y a ici mille choses à changer (et d’abord nos mentalités…), la démocratie n’est pas acquise (voir l’affaire Racines) mais enfin il y a quelque part un train qui roule vite, des centrales solaires parmi les plus performantes du monde et le groupe OCP est en train de conquérir la planète de façon magistrale. Si nous étions Suisses ou Singapouriens, la presse mondiale se pâmerait et donnerait ces succès en exemple. Mais comme nous nous appelons collectivement Bouderbala, tout le monde s’en f…

Quant aux marocanologues qui avaient prédit il y a vingt ans le chaos entre Tanger et Lagouira, la dislocation de l’État, le retour de l'année du typhus et du printemps des sauterelles, où sont-ils maintenant? Se sont-ils excusés? Vous les avez entendus, amis lecteurs? Moi non plus. Eh bien, puisqu’ils ne veulent pas s’excuser, faisons-le pour eux, par charité œcuménique. Voilà ce que cela pourrait donner:

«Mea culpa! Mea maxima culpa! Dorénavant, je ne m’aventurerai plus à pérorer sur un pays aussi complexe que le Maroc à moins de maîtriser au moins deux ou trois sciences humaines (économie, sociologie, anthropologie, Histoire…); je ne mettrai plus les éructations d’un chauffeur de taxi, entre Casa et l’aéroport, au-dessus des analyses d’un professeur d’université; je ne prendrai plus pour argent comptant les allégations délirantes d’un adolescent boutonneux promu ‘fixeur’ par mes soins; je ne prophétiserai plus à propos d’une nation dont j’ignore les langues et la profondeur psychologique; je laisserai la question du Sahara tranquille vu que je n’y comprends strictement rien.»

Allez, va, on te pardonne, marocanologue repenti. Et on te fait une promesse: nous ne commettrons jamais un opuscule bâclé censé prophétiser l’avenir de ton pays. Pourquoi? Parce que nous en sommes tout simplement incapables. Mais au moins nous, nous le savons et nous le disons…

Par Fouad Laroui
Le 24/01/2019 à 21h18