Moros et Catalans

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ChroniqueLorsqu’il s’agit de l’Espagne et de la Catalogne, ils prennent la peine de s’informer. Mais quand il s’agit du Maroc, inutile de s’informer, ils "savent".

Le 27/09/2017 à 10h59

L’autre jour, je rencontre à Besançon, lors d’un Salon du Livre, un ami marocain perdu de vue depuis longtemps, depuis qu’il s’est installé en Espagne pour les besoins de son métier de traducteur.

On parle de choses et d’autres en dégustant la spécialité locale, la cancoillotte, une sorte de fromage fondu qu’on fabrique là-bas depuis les Celtes, ce qui ne nous rajeunit pas.

– Alors, ce referendum pour l’indépendance de la Catalogne?, lui demandé-je, juste pour dire quelque chose car je me fiche bien mal de cette consultation populaire qui ne regarde, à mon humble avis, que nos amis espagnols.

C’est là que mon pote Jamil – vous ai-je dit qu’il s’appelait Jamil? – part dans un long dégagement qui peu à peu vire à une sorte de fureur mal contenue.

– Ah, ne m’en parle pas! Je viens de lire dans El Pais une pétition, signée par Pedro Almodovar (çui qui fait des films), Mario Vargas Llosa l’écrivain et plusieurs centaines d’autres "intellectuels". Et que disent-ils, ces bons apôtres? Eh bien, ils sont contre l’indépendance de la Catalogne!

– Et alors? m’étonnai-je, ils ont bien le droit d’avoir une opinion. Et même de l’afficher dans El Pais, ce grand journal sérieux qui parle plus souvent de politique, de société et d’économie que des fesses de Kim Kardashian.

– D’accord. D’accord. Ils en ont le droit. Mais ils n’ont pas le droit d’être inconséquents!

– Diable! Inconséquents, dis-tu? Essplique.

– Voilà: j’ai étudié attentivement la liste des signataires et j’ai remarqué que beaucoup de ces zigotos ne ratent jamais une occasion de défendre le Polisario. En d’autres termes, ils sont contre l’indépendance de la Catalogne, une nation de 8 millions d’habitants, avec sa propre langue, ses traditions, son Histoire, une nation riche, industrialisée, qui est contributeur net au budget de l’Espagne –donc qui serait prospère sans elle; et "en même temps", comme dirait l’autre, ces mêmes zigotos soutiennent l'indépendance d’un territoire désertique où ne vivaient en 1975 que 70.000 personnes selon les chiffres officiels d’un recensement espagnol– ils seraient combien aujourd’hui? 120.000? L’équivalent d’un petit quartier de Barcelone? Et surtout, il s’agit de gens qui parlent la même langue, pratiquent la même religion et ont les mêmes coutumes et traditions que leurs frères Marocains de Tarfaya ou Tan-Tan. On se résume: non à une Catalogne indépendante, oui à l'indépendance d’un petit bout de désert? J’appelle ça de l’inconséquence!

Nous avalâmes une petite portion de cancoillotte.– Mais, lui dis-je, ce que tu appelles inconséquence est peut-être autre chose, une sorte de réflexe "orientaliste" au sens de Edward Saïd. Ces gars-là, lorsqu’il s’agit de l’Espagne et de la Catalogne, prennent la peine de s’informer, de regarder toutes les données, puis de réfléchir avant de donner leur avis. Mais quand il s’agit du Maroc, inutile de s’informer, ils "savent". Il savent d’avance parce qu’ils sont les descendants de los reyes catolicos et que le Maroc, c’est bougnoule et compagnie. Le Maroc ne peut pas avoir de solides arguments historiques, anthropologiques, économiques, etc. Inutile de s’arrêter à ces broutilles. On leur tend un manifeste pro-Polisario à signer, ils ne réfléchissent même pas, ils signent allègrement!

Jamil hocha vigoureusement la tête en signe d’approbation:– Oui! De toute façon, ils n’ont rien à perdre dans cette histoire, eux. S’ils condamnent ainsi quelques dizaines de milliers de gens à végéter dans le désert et un conflit absurde à s’éterniser, un conflit artificiel qui rend impossible la construction du Maghreb, qu’est-ce que ça peut leur faire? En revanche, voir la Catalogne se détacher de l’Espagne, ça, ça les touche, leur pays amputé de sa partie la plus riche et la plus dynamique, oui, tout à coup, c’est eux-mêmes qui vont souffrir et non ces moros dont au fond ils se fichent, qu’ils soient Marocains ou Polisariens.

La cancoillotte était finie. Regardant le Doubs couler lentement au loin, Jamil conclut:– J’ai la liste de ces pétitionnaires dans ma poche. Je la garde. La prochaine fois que l’un d’eux prendra la parole en soutien au Polisario, je la lui ferai avaler…

Par Fouad Laroui
Le 27/09/2017 à 10h59