«Pourquoi les Marocains...»

Fouad Laroui. 

Fouad Laroui.  . DR

ChroniqueLa condition de l’étranger est souvent marquée par des questions “qui n’ont rien à voir”.

Le 07/12/2016 à 12h00

Dans le Bulletin de l’Afrique Française daté de juin 1897 (oui, je sais, j’ai d’étranges lectures...), on trouve une anecdote a priori amusante mais qui, à la réflexion, est beaucoup plus instructive qu’il n’y paraît. Le sultan du Maroc avait envoyé à Paris l’ambassadeur Sidi Mohamed Benmoussa, frère du fameux vizir Ba Ahmed, pour parler du Taouat dont le Maroc estimait que c’était un territoire qui lui appartenait et que la France était en train de lui grignoter pour s’agrandir à ses dépens.

Quelle fut la première question que les interlocuteurs français de Benmoussa lui posèrent? Celle-ci:

⁃ Pourquoi les Marocains prennent-ils plusieurs épouses?

On est loin du Taouat...

L’excellent ambassadeur sut immédiatement trouver la bonne réponse, galante et diplomatique (c’est à dire mensongère):

⁃ C’est parce qu’il faut plusieurs Marocaines pour réunir tous les charmes que possède une seule Française.

La réponse fut jugée du meilleur goût mais les Français ne lâchèrent rien sur le Taouat.

En réfléchissant à cette anecdote, je me suis dit qu’en un siècle peu de choses avaient changé. La condition de l’étranger, du Marocain en l’occurrence quand il ne se trouve pas dans son pays, est souvent marquée par cela: des questions “qui n’ont rien à voir”. Des questions hors sujet, qui déstabilisent, qui mettent en porte-à-faux.

Exemple récent: lors d’un déjeuner de travail, je me contentai d’une simple salade pour des raisons diététiques alors que le buffet regorgeait de charcuterie. Un butor s’approche de moi et me demande, péremptoire:

⁃ Mais enfin, pourquoi ne mangez vous pas de hallouf, vous les Marocains?

Allez parler après cela d’économie et de stratégie, le sujet du colloque. J’étais immédiatement placé en situation d’infériorité, comme le bon Benmoussa un siècle avant moi.

Vous avez sans doute connu ce genre de situation déplaisante.

Peut-être nous faudra-t-il développer des stratégies de préemption. Dès qu’un quidam s’approchera de nous avec dans les yeux une question qui commencerait par “Pourquoi les Marocains...?”, on lui dégainerait, plus vite que l’éclair:⁃ Pourquoi tuez-vous les bébés phoques, monsieur?

Le temps qu’il revienne de sa surprise, on aura eu le temps de filer...

Par Fouad Laroui
Le 07/12/2016 à 12h00