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ChroniqueA travers trois exemples maghrébins, notre blogueur actuellement en France, essaie de cerner l’effervescence actuelle des esprits à propos de la «modernité» en Islam.

Le 09/12/2016 à 11h59

Il faut se trouver dans l’Hexagone même pour saisir à quel point le débat y crépite en permanence à travers médias de toutes sortes, sur la Toile, dans les livres, les universités, les boîtes-à-idées (Think Tank en anglo-américain).

Un peu partout, chacun veut faire connaître son avis, ses expériences, ses solutions, ses critiques sur la présence vieille à peine d’un demi-siècle de la troisième grande foi orientale révélée sur un Vieux Continent chrétien, en voie de déchristianisation pour des raisons distinctes de l’installation des millions de musulmans en Europe occidentale.

Certains Nord-Africains se font particulièrement remarquer par leur originalité ou leur véhémence, suscitant tantôt l’enthousiasme, tantôt hostilité parmi les croyants ou les incroyants des deux bords. Au milieu de ce qui tourne trop souvent à la cacophonie, essayons de distinguer quelques exemples parlants :

Une Tunisienne audacieuse

Héla Ouardi, jeune essayiste tunisienne a sidéré nombre de ses lecteurs, avec Les derniers jours de Mahomet (368 p., Albin Michel, Paris). Si on en croit cette islamologue, qui donne les apparences du sérieux, la première mention de Mahomet (Mohamed, Muhamad, Mehmed, selon les graphies) dans les rares chroniques conservées, ne survient qu’en 738, soit plus de 100 ans après sa mort…

La théorie de notre Tunisienne, rejetée d’emblée par nombre de musulmans mais pas tous, est que l’Islam actuel est avant tout le fruit des décisions des califes Aboubeker et Omar. La polémique déclenchée par Mme Ouardi ne fait que commencer et n’atteindra son maximum que lorsque son travail sera disponible en arabe.

Notre confrère de TV5, l’Algérien de nationalité française Slimane Zeghidour, très féru d’histoire islamologique, a qualifié Héla Ouardi de «braudellienne», par référence au fameux historien français de la Méditerranée, Fernand Braudel (1902-1985).

Un Algérien iconoclaste

L’Algérien d’Algérie (pas «planqué» à Paris, donc…), Boualem Sansal s’est fait une spécialité d’administrer des volées de bois vert carabinées aux autorités politiques françaises trop «molles», trop «indulgentes», selon lui, envers l’Islam politisé ou armé. Même s’il se présente personnellement comme non-violent, Sansal n’est pas sans quelque parenté avec les «éradicateurs» naguère fort influents au sein du régime socialo-militaire d’Alger.

Si Boualem qui, par ailleurs, ne craint pas de vanter, en pleine Algérie, le système politico-social marocain, s’est également fait une spécialité de lancer régulièrement, avec une malicieuse gourmandise, des formules de son cru qui font bondir nombre de musulmans. Par exemple: «Un islamiste est un musulman impatient!».

Seule dépasse Sansal en crudité de langage, la Maroco-française installée à Paris, Zineb Rhazaoui. Dans son tout récent mini-essai, Détruire le fascisme islamique (70p. Ed. Ring, Paris), elle écrit: «L’Islamisme n’est rien d’autre qu’une application de l’Islam»…

Un Marocain pas comme les autres

Ce n’est pas chez Abdennour Bidar, qualifié dans la presse de «Maroco-français» ou de «Franco-marocain», qu’on trouvera des formules à l’emporte-pièce comme chez Sansal ou Rhazaoui.

Né en 1971 à Clermont-Ferrand, au coeur de la vieille province d’Auvergne, cet homme discret, poli, élégant et viril, se définit comme «philosophe, essayiste et haut fonctionnaire français». Agrégé de philo, il a animé un temps la respectable émission Cultures d’Islam, sur France-Culture que façonna feu le Tunisien Abdelwahab Meddeb, auteur entre autres de La maladie de l’Islam.

Parmi la quinzaine de volumes publiés par Bidar, en français, aucun ne porte de titre-choc. C’est plutôt Lettre ouverte au monde musulman ou Les Tisserands, etc.

Si Abdennour qualifie cependant les «djihadistes» d’«esprits malades»… Certains commentateurs de son travail, l’ont accusé d’«essentialiser» l’Islam… Néanmoins, dans l’Hexagone, parmi l’intelligentsia chrétienne, musulmane ou sans religion, les discussions, pour le moment, tournent plus autour des racines physiques de M. Bidar qu'autour de ses idées…

Et il est vrai que l’intéressé est un «Franco-marocain» unique en son genre… Né d’un couple ethniquement et spirituellement français, le jeune «Abdennour» subit très tôt l’influence de sa mère, convertie à l’Islam soufi, l’Islam mystique, celui des confréries, combattu dans la péninsule Arabique mais florissant depuis des siècles au Maroc.

Très vite notre garçon s’islamise, à l’influence maternelle s’ajoutant celle du second époux de Madame Mère, un pur Marocain, adepte, semble-t-il, du Tabligh, un Islam sunnite de prédication permanente très implanté au Pakistan puis en Occident. Le professeur Bidar, à dire vrai, a surtout fait montre d’une connaissance étendue de penseurs musulmans à la fois «croyants» et «modernes» parmi lesquels le Persan Jamaleddine Afghani, l’Indo-pakistanais Mohamed Iqbâl ou l’Algérien marocophile Mohamed Arkoun (marié à une Marocaine).

Au delà de l’effervescence autour de ces trois auteurs, et de pas mal d’autres, leur véritable heure de vérité interviendra quand leurs principaux textes auront été lus en arabe par le public arabophone.

• A lire, pour sortir de l’actualité immédiate et en savoir plus sur l’Islam populaire marocain: «Florilège de littérature orale du Maroc» de feu le linguiste arabisant Georges Colin, réédité par Zakia Iraki-Sinaceur et Micheline Galley. Geuthner. Paris, 680p. 600

Par Hugoz Péroncel
Le 09/12/2016 à 11h59