La France fatiguée?

Famille Ben Jelloun

ChroniqueOn a rarement vu une France aussi divisée avec une gauche éteinte, une droite qui a du mal à se reconstituer et une extrême-droite qui se renforce. Le populisme à l’italienne menace, l’extrême-droite a le vent en poupe, et Macron poursuit son chemin sans écouter ses conseillers.

Le 01/04/2019 à 10h59

Ces derniers temps, la France connaît des moments difficiles, davantage sur le plan moral qu’économique. L’affaire des Gilets jaunes, qui essaient par tous les moyens d’ébranler le pouvoir en place, donne de ce pays une image où la violence l’emporte sur la légitimité du régime, sur les principes et valeurs de la démocratie. Les dégâts importants causés par des casseurs qui se sont glissés parmi les manifestants ont démontré que l’autorité de la police a été défaillante certains samedis. Macron, en lançant plusieurs débats dans le pays, essaie de jouer son rôle d’arbitre. Mais les critiques pleuvent de partout et certains GJ continuent de réclamer sa tête, autrement dit sa démission.

Pendant ce temps là, des centaines de petits commerces ont fait faillite et leurs employés se sont retrouvés au chômage. Les grands magasins ont blindé leurs vitrines et la sécurité n’est plus tout à fait assurée.

On a rarement vu une France aussi divisée avec une gauche éteinte, une droite qui a du mal à se reconstituer et une extrême-droite qui se renforce. Les prochaines élections pour le parlement européen en mai prochain seront un test pour l’actuel gouvernement. Les sondages donnent le Rassemblement national (Marine Le Pen) et le Mouvement en Marche (Macron) à égalité.

Par ailleurs, les Parisiens sont fidèles à leur réputation: râleurs et désagréables.

Le racisme est là. L’antisémitisme se manifeste de plus en plus. Des tombes juives et d’autres, musulmanes, sont profanées.

Paris est devenue la capitale la plus chère du monde avec Hong Kong et Genève. Les banques croulent sous des liquidités qui bloquent l’économie (plus de 40 milliards d’Euros). Les Français épargnent ou investissent dans l’immobilier; ce qui a affolé ce secteur.

Un ami qui n’avait pas visité la France depuis une dizaine d’années m’a fait remarquer que le pays a perdu de son énergie et de sa compétitivité. Il est vrai que le service à la française est en mauvais état, surtout à Paris. On est à peine accueilli dans les restaurants. Les gens sont de mauvaise humeur. Ils ne sont pas contents de faire ce travail. Ils considèrent qu’ils méritent mieux. Quand vous essayez de joindre une administration, vous avez affaire à un enregistreur qui vous balade; le téléphone vous fait attendre plusieurs dizaines de minutes en vous faisant écouter une musique horrible pour vous demander à la fin de renouveler votre appel parce que «tous nos agents sont occupés»!

Les grandes sociétés sous-traitent avec des petites entreprises dont la compétence est souvent problématique. Quelqu’un me disait «les Français ne travaillent pas, ils font bosser les immigrés».

Depuis quelques mois Paris est un chantier rendant la vie des habitants infernale. La maire, Anne Hidalgo, a lancé en même temps plus de 260 travaux dans les rues et grandes places de la capitale. Résultat, la circulation est très difficile. Les bus sont déviés. Les embouteillages sont multipliés et provoquent une pollution immense.

Des écoles ont dû fermer à cause des pics de pollution qui ont atteint un seuil dangereux. Tout le monde ou presque proteste. La maire n’écoute personne et se représente pour un nouveau mandat. Paris est devenue la ville européenne la plus sale, au point qu’un hebdomadaire a titré «Paris ville poubelle». Des rats traversent aux clous. De plus en plus de personnes âgées attrapent des bronchites sévères (le musicien Michel Legrand en est mort). 

C’est dans ce Paris, où rien ne marche normalement, que les Gilets Jaunes continuent de se réunir tous les samedis et perturbent le peu de paix que laissent les innombrables travaux. Il y a quelques années Philippe Sollers avait publié un article «La France moisie» (2007) où il dénonçait une société de plus en plus fermée sur elle-même. Aujourd’hui certains parlent de fatigue. Alors, la France? Fatiguée? Cela dépend, la France des riches, des très riches, se porte bien, même s’ils râlent de temps en temps. La classe moyenne et la classe pauvre (8 millions de Français vivent sous le seuil de pauvreté) souffrent, certains rejoignent les Gilets jaunes.

Le populisme à l’italienne menace, l’extrême-droite a le vent en poupe, et Macron poursuit son chemin sans écouter ses conseillers. Les débats à la télé sont de plus en plus violents et vulgaires. Et le dernier roman de Michel Houellebecq a été vendu à plus de 400. 000 exemplaires, un livre tout à fait contemporain de cette morosité, cette médiocrité qui se généralise un peu partout dans une société qui s’installe dans une dépression non nommée avec quelques réflexes racistes et une absence de lucidité.

Avant, il y avait des penseurs, des philosophes qui montraient la voie. Il y avait J.P Sartre, Jean Genet, Michel Foucault, François Mauriac, Gilles Deleuze, Félix Guattari, etc. Le dernier à avoir secoué les foules avec un petit pamphlet «Indignez-vous», ce fut Stéphane Hessel. Son livre a été vendu à plus de trois millions d’exemplaires. Un livre, un cri, une incitation à prendre conscience. Le fait d’avoir dans ce texte dénoncé la politique d’occupation israélienne lui valut d’être vertement critiqué, voire mis à l’index par certains militants pro-israéliens.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 01/04/2019 à 10h59