L’antisionisme n’est pas de l’antisémitisme

Tahar Ben Jelloun.

Tahar Ben Jelloun. . DR

ChroniqueIsraël qui n’a respecté aucune des résolutions des Nations Unies, qui agit comme il veut sans tenir compte du droit, reste un Etat impuni. Le dire aujourd’hui vous fait passer pour un ennemi des juifs. C’est cela le chantage qui sévit en France et qui fonctionne bien.

Le 13/06/2016 à 11h57

La haute autorité de la communication audiovisuelle (Haca) vient de condamner une radio privée émettant au Maroc pour insultes contre les juifs. Il s’agit d’une émission de débats où l’animateur a considéré les juifs comme «ennemis des musulmans», ce à quoi une auditrice a ajouté : «les juifs sont les plus grands ennemis des musulmans». Réaction à chaud et sentiment assez répandu dans le monde arabe. Ce n’est pas une raison pour l’accepter.

Généraliser et affirmer avec certitude relèvent du racisme. Certes il existe des juifs qui n’aiment pas les musulmans, comme l’inverse existe aussi. Mais là il faut faire attention. Ne confondons pas juifs et Israéliens, la communauté juive dans le monde et l’Etat d’Israël. Autant il est tout à fait normal et sain de critiquer la politique d’un Etat, autant il n’est pas judicieux de faire porter aux juifs la responsabilité de ce qu’entreprennent l’Etat et le gouvernement d’Israël. D’autant plus que le but de quelqu’un comme Netanyahu est de créer cette confusion et faire de toute critique de sa politique de l’antisémitisme.

L’objectif du sionisme n’est-il pas de réunir tous les juifs et les convaincre que les Arabes et les musulmans veulent les jeter à la mer ? Insulter des juifs en général, c’est donner raison à Netanyahu et à ses complices.

Cela a pris quelques années, mais l’idée a fait son chemin. A présent, en tout cas en France, être anti sioniste est, pour utiliser les mots de Manuel Valls «synonyme de l’antisémitisme». Ce qui interdit toute critique d’Israël, et porte à considérer cet Etat au-dessus de tous les autres Etats.

Avec un sens bien étudié et développé, certains juifs de France ont réussi à faire de toute critique du sionisme un racisme condamnable par la loi. Or ce sionisme appliqué aujourd’hui par Israël ressemble de plus en plus au système de l’apartheid : occupation de territoires palestiniens, de plus en plus de constructions de colonies sur ces territoires, embargo sur la bande de Gaza, discriminations dans tous les domaines (voir à ce propos le rapport 2015 de Human Rights Watch qui décrit avec objectivité et maints exemples le système discriminatoire mis en place dans les territoires occupés notamment le traitement réservé aux travailleurs palestiniens).

La pression en France est telle que plus personne n’ose critiquer publiquement Israël. Cet Etat qui n’a respecté aucune des résolutions des Nations Unies, qui agit comme il veut sans tenir compte du droit, reste un Etat impuni. Le dire aujourd’hui vous fait passer pour un ennemi des juifs. C’est cela le chantage qui sévit en France et qui fonctionne bien.

Cela a des effets déplorables sur bon nombre de jeunes issus de l’immigration maghrébine en France. Ils constatent que le premier ministre de la France clame partout son « soutien indéfectible à l’Etat d’Israël », après avoir été un pro palestinien quand il était maire d’Evry (2001), et oublie aujourd’hui le sort fait au peuple palestinien.

Certains jeunes ne s’embarrassent pas de nuances ; ils versent dans un racisme anti juif et ne font pas la différence entre les diverses composantes des juifs. En Israël il existe une minorité d’Israéliens opposés à la politique coloniale de Netanyahu et militent pour une paix juste avec deux Etats ayant des frontières reconnues internationalement. Le camp de la paix existe même s’il est de plus en plus isolé. Les Palestiniens, ceux qui représentent l’Autorité palestinienne, n’ont réussi à rien obtenir de la part d’Israël. Ils ont accepté de négocier. Résultat : rien. Ce n’est pas une raison pour jeter l’anathème sur tous les juifs et élargir encore plus le fossé existant entre juifs et musulmans. En évitant tout racisme, on est plus crédible pour défendre la cause d’un peuple aujourd’hui abandonné par les «frères» (Ah, cette fraternité creuse et sans effet !) et laissé sous l’occupation d’un Etat qui ne respecte ni le droit ni la loi.

Par Tahar Ben Jelloun
Le 13/06/2016 à 11h57