"Aïcha" : une aventure pédagogique exemplaire

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Des élèves du lycée Ibn Sina de Mazguita, dans la région de Zagora (Agdez), ont vécu la belle expérience de travailler à la production d’une œuvre littéraire collective, sous la direction de leur enseignant.

Le 09/08/2013 à 22h57, mis à jour le 10/08/2013 à 15h36

Des élèves du lycée Ibn Sina de Mazguita, dans la région de Zagora (Agdez), ont vécu la belle expérience de travailler à la production d’une œuvre littéraire collective, sous la direction de leur enseignant, Lahcen Bouguerne. Très concerné par l’implication de ses élèves dans le processus d’apprentissage, le professeur a en effet initié pour eux un atelier d’écriture destiné à faire d’eux des participants actifs aptes à penser par eux-mêmes. Insistant sur le fait que «la faute d’orthographe est moins grave que la vacuité de pensée», il leur apprendra donc à approcher le savoir transmis par l’école non comme un but en soi mais comme un moyen de réflexion et d’expression.

Aïcha est ainsi le fruit d’une expérience aussi stimulante que passionnante qui aura mené 19 lycéens à vivre une intense aventure humaine en écrivant ensemble leur premier livre. Un premier livre qui, s’il les a entraînés sur les chemins de l’écriture, les a aussi poussés à questionner la société dans laquelle ils vivent et à mettre en lumière, avec un indéniable sens critique, certaines réalités qui lui sont propres. Et ils mettront en particulier l’accent sur la condition de la femme berbère dans les régions du sud marocain, pointant dès lors du doigt, comme ils l’expliquent, l’enfermement intellectuel et physique dont elle est souvent victime et certaines « traditions » s’il en est, comme celle du mariage précoce des jeunes filles, qui ont encore la vie dure.

Aïcha déploie en effet l’histoire d’une jeune fille vivant à la campagne et qui voit sa scolarité mise en danger par quantité de corvées ménagères et aux champs que lui impose, chaque jour que Dieu fait, sa marâtre de belle-mère. Au travers de cette biographie romancée, les jeunes auteurs soulèvent donc un grave problème de société et dénoncent, au travers d’une analyse de leur propre milieu dont ils dévoilent les mécanismes et les travers, l’injustice qui frappe les filles et dont ils sont tous témoins ou victimes au quotidien.

Mais, si l’initiative a pu intéresser la télévision marocaine et faire l’objet d’un reportage sur 2M, le roman lui-même s’est heurté à l’indifférence des maisons éditoriales nationales et a finalement été publié, le 15 novembre 2012, à… Paris ! Cette année, d’autres initiatives similaires rassemblent les élèves de Lahcen Bouguerne autour de projets communs tout aussi édifiants pour les uns et les autres. Un travail autour du conte, entre autres, a depuis été entrepris. En attendant de découvrir les nouvelles réalisations des lycéens, voici un passage du roman collectif qui fait aujourd’hui la fierté des jeunes écrivains en herbe et de leur professeur :

«Le foot n’est pas la seule occupation chez les jeunes. Il y en a qui vont la nuit à la chasse aux pigeons, surtout au ramadan dans les grandes casbahs comme Taourirte en haut d’une colline. Elle comporte plusieurs tours, plusieurs fenêtres, des ruelles et de grandes portes. D’autres prennent l’aventure de chercher les fruits dans les champs, parfois ils préparent des diners collectifs et ils vont les manger à côté du pont, au bord de l’oued pour se rafraichir(…).

Malheureusement, pour les filles, il n’y a pas beaucoup d’activités collectives, elles travaillent dans les champs pour ramasser à manger pour les animaux, aident à la maison pour préparer à manger, à l’exception d’une seule occasion appelée "Assarkem".

C’est une manifestation organisée par les filles du village chaque année, comme dans les autres villages sous d’autres appellations. Asserkam dure trois jours, et parfois quatre jours. Les filles se rassemblent dans une maison, dans un premier temps, pour désigner une fille de chaque famille afin de ramasser la cotisation en argent : trente dirhams chacune. Dans un deuxième temps, elles se rassemblent encore pour choisir le local où faire la fête. Généralement une grande maison au village. Elles partagent les travaux : apporter les tapis, et tout ce dont elles ont besoin …

La fête d’Assarkam dure parfois une semaine si les filles ont ramassé beaucoup d’argent. Le matin, elles préparent à manger le poulet au citron, le couscous, les gâteaux, le célèbre M’ssamen marocain et le thé vert … »  (Aïcha, texte des élèves du lycée Ibn Sina Agdez, Edilivre, Paris, 2012)

Par Bouthaina Azami
Le 09/08/2013 à 22h57, mis à jour le 10/08/2013 à 15h36