Bel hommage à Saâd Ben Cheffaj

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En partenariat avec l’association Tétouan Asmir, la commission supérieure des récompenses de l’Académie internationale "Mérite et dévouement français" a décoré l’artiste peintre Saâd Ben Cheffaj de la Médaille d'Or.

Le 16/10/2013 à 09h30

En partenariat avec l’association Tétouan Asmir, la commission supérieure des récompenses de l’Académie internationale "Mérite et dévouement français" a décoré l’artiste peintre Saâd Ben Cheffaj de la Médaille d'Or, le vendredi 11 octobre. La cérémonie a eu lieu à l’Ecole nationale des beaux-arts de Tétouan, sous la présidence de Jean Paul de Bernis, président général de l’académie, et de Chaechoe, président de l’Association Tétouan Asmir. Saâd Ben Cheffaj, une véritable icône de l’art marocain. Un grand artiste qui fait partie de la première génération de plasticiens formés par l’Ecole des beaux-arts de Tétouan et qui jouit aujourd’hui d’une reconnaissance internationale. Un artiste incontournable, et un pionnier qui a donné à l'art presque 60 ans de sa vie. Saâd Ben Cheffaj a d'ailleurs reçu plusieurs prix prestigieux, notamment la Médaille d'Or de la société académique française Art-Sciences-Lettres en 2009 et la Palme de Marrakech en 2010. Il a par ailleurs fait sensation à Dubaï lors de la grande foire d'art contemporain du monde arabe, en 2011. En 2012, une de ses toiles a été vendue à Paris chez Christies, à Paris, au prix de 50.000 euros. Un grand artiste. Un grand homme. Une grande âme.

L’homme qui écoute les murmures de Tétouan

Saâd Ben Cheffaj est né en 1939 dans sa ville de Tétouan à laquelle il restera toujours très attaché. A cette ville qui lui a tout donné, qui a nourri son âme, l’artiste voue un amour infini, indéfectible. Il y habitait, enfant, un quartier qu’il aimait et aime encore à appeler "l’Acropole" : un quartier en hauteur qui surplombait la cité et semblait faire le lien entre le ciel et la terre, confondus dans la même azuréenne volupté écumée dans les brisants. Dès les premières lueurs de l’aube, l’enfant s’élançait vers le jour dont il ne percevait d’abord que l’infini bleu clairsemé de nuages : Quand j’ouvrais la fenêtre, dans mon enfance, je voyais d’abord le bleu du ciel. Tous les jours, le bleu de ce ciel. Ce bleu est resté enregistré dans ma mémoire toute ma vie. Bleu du ciel; bleu, aussi, de cette mer méditerranée qui traverse, foudroyante, la toile raturée traînées de braises marine ; entre les deux, les étendues des forêts et des montagnes dont la cité blanche, érigée milliers de carrés de sucre superposés, suit les lignes onduleuses.

Sa ville natale est ainsi, pour Saâd Ben Cheffaj, une ville tout-monde qui se suffit à elle-même, rassemble en elle toute la force et la beauté des éléments. Une ville tout-monde qui l’a nourri de ses bleus fabuleux, de ses portes, sept, chargées de mystères et qui se fermaient à la tombée de la nuit, de ses arbres, de ses puits, ses fontaines habités par les jnouns… Tétouan, sa ville, sa muse, chargée de tout un univers onirique. Il y régnait de plus, à l’époque, une effervescence culturelle et artistique qui fascinait l’enfant. Les peintres espagnols venaient en effet planter leur chevalet dans les rues, et le jeune Saâd Ben Cheffaj passait des heures à les regarder et à s’imaginer comment lui s’y prendrait pour rendre le même objet.

Naissance d’une étoile

La voie de l’enfant semble tracée. C’est décidé : il sera artiste peintre ou ne sera pas. Son entêtement finit par avoir raison des résistances de son père et, en 1955, le jeune homme fait son entrée à l’Ecole des beaux-arts de Tétouan, alors dirigée par le grand maître espagnol Mariano Bertuchi. Il y étudiera aux côtés de Mekki Meghara et Fakhar qui, avec lui, feront partie des trois seuls marocains parmi donc une majorité presque exclusive d’étudiants espagnols. L’étudiant commencera par travailler sur l’objet pour, dit-il, "apprivoiser le regard et la main et apprendre à déposer sur la toile". Bien que ne se considérant pas encore comme un artiste apte à réaliser des œuvres dignes de ce nom, Saâd Ben Cheffaj participera, dès 1956, à une 1ère exposition collective. Puis ce fut, en 1957, le départ pour l’Europe. L’artiste fréquentera, à Séville, la prestigieuse Ecole des beaux-arts Santa Isabel de Hungria puis la non moins prestigieuse Ecole du Louvre, à Paris, avant un nouveau séjour en Espagne où il décrochera, en 1962, son diplôme de professeur. Alors que les années à Tétouan auront été celles du développement du regard et de la main, ces années en Europe seront, pour Saâd Ben Cheffaj, celles de l’enrichissement de l’esprit. Le jeune artiste y écume en effet expositions et galeries d’art et présentera, en 1958, dans le cadre de la fameuse Exposition du Printemps, un portrait, La Tuerta, que lui-même qualifie de "magnifique", concédant alors enfin à accorder à son travail valeur d’œuvre d’art.

En 1965, Saâd Ben Cheffaj retrouve sa ville natale. Il y réintégrera, en tant que professeur, cette fois, l’Ecole des beaux-arts de Tétouan. Son travail, tourné jusqu’ici vers la figuration, prendra dès lors un autre tournant par-delà l’académisme et l’empreinte espagnole qui marquèrent ses années d’études. Une nouvelle période artistique s’annonce, "abstraite" diront certains, "symboliste" dira l’artiste qui cherche alors à réoriginer son art, à l’ancrer dans sa terre, s’inspirant des signes géométriques propres à l’artisanat marocain, plongeant ses toiles dans l’ocre et le pourpre de sa terre. Et peu à peu, le corps, comme en gestation, se profile, écarte ces magmas de lave et revient à la vie. Période transitoire et, certainement, libératrice. Car il en naîtra une fulgurante, indicible, incomparable "œuvre au bleu", furieusement rebelle, secouée de mythes eux-mêmes ébranlés, bousculés, auxquels l’artiste intime de nous dire l’amour et la mort à travers le chaos du corps, réceptacle de toutes les jouissances et de toutes les terreurs. L’artiste, lui, s’est libéré, a libéré le corps pour nous interpeller au travers de toiles fulgurantes où se rejoue en permanence une sorte de retraversée de la Chute ; au travers de dessins, aussi, d’une force et une grâce indicibles.

Par Bouthaina Azami
Le 16/10/2013 à 09h30