Mohammed Berraou: «La reddition des comptes au Maroc est une révolution»

Mohammed Berraou

Mohammed Berraou . DR

Le chercheur Mohammed Berraou vient de publier un nouvel ouvrage intitulé "la responsabilité des acteurs de la gestion publique devant la Cour des comptes- Le modèle marocain" aux éditions l'Harmattan. Dans cet entretien, il s'exprime sur le sujet de la reddition des comptes.

Le 18/11/2017 à 19h42

Quelle est la démarche de réflexion adoptée lors de la rédaction de cet ouvrage ?L’ouvrage, traitant d’un sujet hautement d’actualité au Maroc bien entendu, surtout après le discours royal du 29 juillet 2017, mais ailleurs également -par une étude méticuleusement préparée, analytique et critique, complète, approfondie et comparée notamment au modèle de référence français- apporte une réponse unique par son originalité à la question de savoir comment et dans quelle mesure la Cour des comptes met en œuvre le principe constitutionnel de corrélation entre responsabilité et reddition des comptes. En particulier, ses conséquences à l’égard des responsables, des fonctionnaires et des agents qui enfreignent aux règles juridiques et procédurales régissant les opérations de gestion des fonds publics. Toutes les procédures et voies de recours ainsi que les passerelles avec la poursuite pénale sont mises en lumière et expliquées en détail.

L’ouvrage propose aussi, dans son dernier chapitre, une réflexion prospective autour de l’impact de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances sur l’office de la Cour des comptes en général et sur le régime de responsabilité des acteurs de la gestion publique en particulier.

Le tout, suivant une approche didactique facilitant l’accessibilité du contenu de l’ouvrage pour les différents responsables et gestionnaires des affaires administratives et financières des ministères, des établissements et entreprises publics et des collectivités territoriales.

Pour les membres des organes de contrôle, d’inspection et d’audit dans le secteur public. Pour les juges financiers, administratifs et judiciaires et les avocats. Et pour les membres du gouvernement, du parlement et des conseils délibérants.

L’ouvrage est conçu pour avoir comme cibles non seulement le Maroc et la France, mais aussi les pays du Maghreb et d’Afrique francophone, et généralement tous les pays du monde ayant opté pour le modèle juridictionnel de contrôle des finances publiques, notamment les membres de l’Association des institutions supérieures de contrôle ayant en commun l’usage de la langue française (AISCCUF).

Votre ouvrage évoque la responsabilité des acteurs de la gestion publique. Quelles sont les failles du modèle marocain ?En général, le modèle marocain comporte les éléments essentiels d’un dispositif normatif et institutionnel moderne et avancé, mais bien sûr la question de l’efficacité reste posée et reconnue par tous les acteurs institutionnels et sociaux, cela s’explique par les points essentiels suivants :

- Une transparence limitée par rapport à quoi? qui? et comment? des rôles et responsabilités des acteurs chargés de mettre en œuvre les principes et valeurs de la responsabilité et de reddition des comptes traduite par un déficit de communication adéquate avec l’opinion publique.

- Une multiplicité excessive des instances de contrôle en l’absence d’un cadre institutionnel de coordination et de collaboration, de même qu’une visibilité et une stratégie d’ensemble.

- Des difficultés et des confusions à propos des passerelles entre les résultats de contrôle et la mise en œuvre effective de la reddition des comptes et de la sanction par extension.

-Une culture de régularité et de conformité basée sur le culte de la pièce et la règle écrite au détriment du résultat et de la performance.

- Un système de responsabilité toujours en décalage par rapport aux développement récents et à venir concernant la nouvelle gestion publique (New public management).

- Le contrôle interne et externe du secteur public (les IGM, IGAT et IGF d’une part et la Cour des comptes et le Parlement d’autre part) peine encore à trouver une ligne de conduite concertée et intégrée traduite par une procédure de communication fluide.

- Les rapports des instances de contrôle et de lutte contre la corruption avec la justice ne sont pas clairement définis et suscitent toujours des questionnements sur les suites pénales données aux affaires appréhendées.

- L’immunité des ministres dans leur gestion administrative et financière devant la Cour des comptes en matière de discipline budgétaire et financière pour les faits incriminés bien que ne revêtant pas un caractère pénal.

- Le manque de retour d’information et de saisines de la part des juridictions judicaires vers les juridictions financières.

- Le risque de la propagation du slogan dangereusement erroné: soit l’impunité soit le tout pénal.

A la lumière des derniers limogeages de plusieurs ministres marocains, quel a été selon vous le rôle de la Cour des comptes ?

La Cour des comptes a réussi à jouer son nouveau rôle consacré par la constitution de 2011 en tant qu’institution supérieure de contrôle des finances publiques indépendante (du gouvernement) dans la protection des principes et valeurs de bonne gouvernance, de transparence et de reddition des comptes.

Ce qui m’a frappé en tant qu’expert en la matière c’est l’approche prônée par SA majesté le Roi dans la conduite de la mise en œuvre du principe constitutionnel de corrélation entre responsabilité et reddition des comptes qui se caractérise par les traits saillants suivants:

1- La transparence et la célérité de la procédure concrétisées par le communiqué du cabinet royal et du rapport de la Cour des comptes et des mesures prises par le roi Mohammed VI comme suites données aux résultats dégagés par le processus de contrôle et de reddition des comptes.

2- Le caractère systémique, intégré et complémentaire des interventions de tous les acteurs à savoir: Sa Majesté le Roi; les instances de contrôle interne: IGAT et IGF; le gouvernement et la Cour des comptes en tant qu’instance de contrôle et de reddition des comptes externe et indépendante. Quoiqu’en l’absence justifiée des juridictions pénales.

3- Une redevabilité managériale qui constitue un pas en avant par rapport à la redevabilité classique financière fondée sur le critère de conformité aux lois et règlements.

4- La continuité et la durabilité du processus par des mesures complémentaires à venir et par des décisions et des instructions pour les différents acteurs, notamment la Cour des comptes pour les nouvelles missions et orientations de contrôle et de reddition des comptes. 

Suite à ces orientations royales quelles sont les perspectives de ce concept de reddition des comptes dans l’avenir ?

Je mesure mes mots, il s’agit d’une «révolution» dans l’approche et la procédure de mise en œuvre du principe de corrélation entre responsabilité et reddition des comptes. Dorénavant, il ne s’agira plus de limiter la sanction des défaillances de la gestion publique à raison des infractions individuelles des responsables et agents d’exécution qui est sanctionnés soit par des amendes et/ou des remboursements devant la Cour des comptes, soit par des mesures privatives de liberté devant les juridictions pénales seulement. Mais à raison de la performance de la gestion publique non seulement par rapport à l’atteinte des objectifs des programmes et projets publics -et c’est là la grande innovation- mais également et surtout de son impact effectif sur la vie des citoyens surtout les couches défavorisées. C’est la une application en retard mais rattrapée du message historique du fameux discours royal du trône de l’année 2014 dans lequel Sa majesté avait lancé un appel ferme et retentissant pour que les rapports relatifs aux actions, projets et programmes publics ne se contentent pas de présenter les chiffres de réalisations, mais les effets et les incidences réels de ces réalisations sur la vie quotidienne des citoyens marocains.

Pourquoi je dis une révolution? Parce que les instances de contrôle et de reddition des comptes, notamment la Cour des comptes, doivent revisiter leur approches de contrôle vers les évaluations d’impact et les mesures d’incidences réels des programmes et projets publics. En parallèle, la sanction doit être intelligente et appropriée, en ligne avec à la nouvelle conception de contrôle et de reddition de comptes: s’il s’avère que les défaillances ne peuvent recevoir aucune qualification. La nouvelle approche propose de sanctionner les gestionnaires paresseux ou incompétents par des limogeages ou des dégradations de missions ou tout simplement par des disqualifications pour des postes de responsabilité. 

En même temps récompenser les responsables compétents et performants par des primes de rendement et des promotions de postes de responsabilité. La sanction doit donc dorénavant être négative et positive. C’est tout à fait nouveau, n’est-ce pas! Mais heureusement c’est un processus révolutionnaire qui a été amorcé par le roi Mohammed VI.

L’exemple a été donné par le Chef de l’Etat. La balle est dans le camp des autres acteurs.

Mohammed Berraou est docteur d’Etat en Droit de l’Université Mohammed V Rabat; conférencier et chercheur en Sciences Juridiques, financières et politiques; expert international en Gouvernance et contrôle des finances publiques; spécialiste en Evaluation des institutions supérieures de contrôle. Il est l’auteur de 12

ouvrages et détenteur de 3 Prix scientifiques de l’Organisation arabe des institutions supérieures de contrôle (ARABOSAI).

Par Qods Chabaa
Le 18/11/2017 à 19h42