La CGEM, toute une histoire

Le siège de la CGEM, au quartier Palmier, à Casablanca. 

Le siège de la CGEM, au quartier Palmier, à Casablanca.  . DR

Publié aux éditions "La Croisée des chemins", le livre «CGEM, 70 ans au service de l’entreprise» est une invitation au voyage dans l'histoire du patronat marocain. En voici quelques extraits, depuis l’élection de Mohamed Amor en 1969 jusqu’au départ de Miriam Bensalah en mai 2018.

Le 14/07/2018 à 16h30

L’idée de l’ouvrage est née et a été concrétisée lors du mandat de Miriem Bensaleh, à l’occasion du 70 anniversaire de la Confédération Générale des Entreprises du Maroc (CGEM). Le hasard des circonstances a voulu que le livre soit édité et prêt à la diffusion au début du mandat de Salaheddine Mezouar, élu le 22 mai dernier à la tête du patronat.

Sans prétendre à l’exhaustivité, l’ouvrage propose une reconstitution de l’histoire de la CGEM. Un travail enrichi d’une sélection d’images et de documents d’archives. L’histoire de la CGEM telle qu’elle y est illustrée retrace aussi l’histoire économique du Maroc et celle des entrepreneurs. «Afin de gagner en légitimité, les dirigeants successifs de la confédération, grâce à leurs qualités professionnelles et humaines, ont su faire évoluer, chacun à son tour, les structures de l’organisation, en l’adaptant au contexte du moment, et en mettant en relief sans cesse le rôle déterminant de l’entrepreneur marocain. Et c’est ainsi que la CGEM est devenue peu à peu un puissant groupe de pression, représenté au Parlement et pesant même sur les négociations avec les pouvoirs publics», témoigne l’universitaire et ancien ministre des Finances, Mohamed Berrada, qui a préfacé ce livre de 302 pages. Le 360 reprend le fil de l’histoire du patronat depuis l’époque de Mohamed Amor, premier Marocain élu à la tête de la CGEM, jusqu’à la fin du deuxième mandat de Miriem Bensalah.

La transition sereineMohamed Amor (1969-1984)

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Mohamed Amor a été ministre de l’Emploi et des affaires sociales du Maroc sous le règne de SM le roi Hassan II, dans le gouvernement Ahmed Bahnini où il a remplacé Thami el-Ouazzani à compter du remaniement d’août 1964. PDG de CGE Maroc, il a participé dans cette grande entreprise créée en 1947 par des capitaux français, à faire diversifier sa production dans le secteur de l’électricité et du câblage, jusqu’à l’introduire à la Bourse de Casablanca en 1983. En 1969, au moment où la CGEM a senti la nécessité de marocaniser ses structures, Mohamed Amor a vite émergé comme l’homme du moment. La transition sereine était le vœu de tout le monde. Il a été élu président de la Confédération générale des entreprises du Maroc (CGEM) en octobre 1969 pour y rester jusqu’en juillet 1984, devenant le premier Marocain à la présider.

Ce que Amor en pense aujourd’hui

«À l’indépendance, la CGEM existait déjà, créée et gérée par une large majorité d’entreprises françaises. Elle comptait alors peu de Marocains tels que les familles Sebti, Bennani Smires et quelques autres. J’ai été nommé tout d’abord Vice-Président par le Conseil d’Administration de la CGEM, après avoir quitté mon poste de ministre du Travail et des Affaires sociales et notamment ma position au sein du BIT à Genève. Le Président d’alors était Robert Savin, patron de la Chérifienne des Mines.

Un an plus tard (1969), j’ai été élu président par le Conseil d’Administration et devais le rester 14 années, soit jusqu’en 1984. Je représentais alors la CGE Maroc (Compagnie Générale Marocaine d’Électricité), actuelle Nexans et la société Caplam (Caoutchouc et Plastique du Maghreb).

Ma première décision a été de faire appliquer les principes légaux et la marocanisation, au sein du Patronat, qui consistait à amener les entreprises étrangères à céder au minimum 51% de leur capital à des opérateurs de nationalité marocaine.

Ce principe découlait d’une loi promulguée par le gouvernement de M. Ahmed Osman alors Premier ministre; je dois avouer que la grande majorité des sociétés concernées ont répondu favorablement.

Ma décision la plus difficile? Ce fut aussi la plus honorante pour la CGEM. Faire souscrire l’ensemble des membres à l’effort logistique et financier de la Marche Verte. Cette décision est celle qui m’a le plus marqué.

Durant mes mandats, j’ai été très impressionné par quelques sociétés adhérentes à la confédération. Les groupes privés qui constituaient selon moi le bon exemple de stratégie, de dynamisme et de professionnalisme étaient ceux de El Haj Abdelkader Bensalah, de Miloud Chaâbi et de Moulay Ali Kettani.

L’homme du consensus

Mohamed Drissi Kaitouni (1984-1986)

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…Prononçant un long discours, en guise de rapport moral d’adieu à la présidence de la confédération, Mohamed Amor a passé le flambeau lors d’une assemblée générale élective, où l’on votait encore à mains levées. C’est Mohamed Drissi Kaitouni qui prend la relève. Candidat unique, il personnifie un cran supplémentaire dans la marocanisation de la CGEM, puisqu’il représente Tisbrod, l’une des entreprises textiles du groupe privé marocain Moulay Ali Kettani, permettant ainsi à un groupe privé marocain, d’accéder à la présidence pour la première fois de l’histoire du patronat. Succession logique, car, discret mais très actif, l’homme évolue depuis de longues années dans les arcanes de la Confédération…

…Mohamed Drissi Kaitouni était aussi l’homme de l’exportation, puisqu’il a été, accompagné d’autres exportateurs, à l’origine de la création de l’Asmex (Association Marocaine des Exportateurs) en 1982. Hélas, il ne put jamais mettre en pratique à la CGEM le fruit de ses expériences, la maladie l’ayant emporté dès décembre 1984, sans qu’il eut le temps d’engager le plan d’action qu’il souhaitait mettre en œuvre. C’est Farouk Benbrahim, assurant déjà l’intérim, qui aura à reprendre les rênes jusqu’à l’assemblée générale de juillet 1985…

…Durant la maladie de Mohamed Drissi Kaitouni, Farouk Benbrahim, le plus ancien des Vice-Présidents, assuma l’intérim informel, jusqu’au décès du Président élu. Le Bureau de la Confédération se réunit dans la semaine et, à l’unanimité, Farouk Benbrahim fut élu nouveau Président. Cette cooptation se justifiait par les nombreuses années que ce dernier avait passées à la tête de la Commission économique et fiscale, par ses mandats successifs comme Président de la Fédération du Commerce et des Services ainsi que par son expérience de Président-fondateur de l’Association Professionnelle des Importateurs de Matériels (APIM). Dès la première réunion du Bureau, le nouveau Président annonce qu’il organisera des élections dans les mois qui suivent. Finalement, c’est Bensalem Guessouss qui est élu, les «patrons» ayant préféré élire à leur tête un homme déjà connu de l’Administration et qui avait déjà exercé de hautes fonctions.

Un diplomate à la barre

Bensalem Guessous (1986-1988)

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Bensalem Guessouss exerça plusieurs hautes fonctions dans l’administration marocaine. Il a été gouverneur de Tanger, ambassadeur du Maroc à Bruxelles, puis ministre plusieurs fois, notamment des Finances. PDG de Laprophan, une unité pharmaceutique de premier plan, il y exerça ses talents de pharmacien, sa formation de base, qu’il a parachevée à Strasbourg, en France de 1942 à 1947, pour devenir le premier pharmacien diplômé marocain. Dès son retour au pays, il ouvre son officine dans sa ville natale…

…Sa philosophie, il l’a développée dans le colloque organisé sous le Haut patronage de S.M. le Roi Hassan II, par l’Amicale des Ponts et Chaussées et la CGEM, sous le thème révélateur: «Secteur public-secteur privé; vers un meilleur équilibre». Le colloque fut l’occasion pour lui d’improviser des ajouts sévères au discours préparé pour lui par le secrétariat général. Des envolées lyriques, dans son français impeccable ont frappé les esprits, du genre: «En corruption, comme en mariage, il faut être deux», prononcée comme réplique à un intervenant qui accusait ouvertement les entreprises d’être seules à l’origine de la corruption qui entachait les marchés publics. Sous sa présidence, la CGEM a eu essentiellement la tâche de gérer la mise en œuvre du PAS (Programme d’Ajustement Structurel), d’essayer d’amortir ses chocs pour l’entreprise et de lancer la mise à niveau de celle-ci. Une mise à niveau très attendue car confrontée à l’ouverture des frontières et aux divers élargissements de la CEE. Il s’agissait surtout de suivre le cours de la privatisation avec l’instauration concomitante d’un équilibre entre le secteur public et les entreprises privées. Bensalem Guessouss n’hésitait pas à exprimer sa fierté d’avoir réussi à garder à la CGEM son indépendance financière car, répétait-il: «Sans indépendance financière point d’indépendance morale». À son départ, volontaire, après un seul mandat en juin 1988, il regrettait deux projets non réalisés: doter la CGEM d’un siège à la hauteur de ses ambitions et d’un journal. Deux projets qui se sont avérés plus difficiles à réaliser qu’il ne le pensait. Ses successeurs ont réussi le premier en réaménageant le traditionnel siège du quartier Palmiers à Casablanca, mais se sont résignés à penser, concernant le projet du journal, que chacun devait exercer son métier. Le journalisme restant celui des professionnels des médias…

Des convictions libérales

Abderrahmane Bennani Smires (1988-1994)

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L’année 1988 marque un tournant dans l’histoire de la CGEM et ouvre une ère nouvelle à l’organisation patronale, après la période du PAS fortement mouvementée avec ses effets néfastes particulièrement sur le plan social. Abderrahmane Bennani Smires, porté à la tête de la CGEM, le 30 juillet 1988, pour deux mandats successifs (1988-1994), ne rate aucune occasion pour faire entendre la voix de l’organisation patronale. La CGEM voulait cerner clairement le dispositif réglementaire et dissiper aussi les craintes des gouvernements successifs (Azeddine Laraki, Karim Lamrani et Abdellatif Filali) quant à la position de l’organisation patronale par rapport aux décisions publiques...De l’avis général des observateurs, Abderrahmane Bennani Smires a su, en un laps de temps très court, imprimer un style nouveau à l’action patronale. Sa stratégie: faire de la CGEM une organisation forte, solide et crédible. Elle devait, à cet effet, élargir sa base, décentraliser son action, renforcer son rayonnement et adopter une posture plus dynamique et plus agressive.

… Dans cette stratégie nouvelle de concertation et de dialogue permanent tant avec l’administration qu’avec les partenaires socio-économiques, la CGEM tient à préserver son indépendance. « Elle ne peut être le lieu de la politique politicienne. Sa seule politique est celle de relever le défi de l’investissement, de la création des richesses et de l’emploi». Le nouveau discours entretenu par Abderrahmane Bennani Smires permet de bousculer et moderniser les structures de la confédération que d’aucuns qualifiaient de « club de patrons ».

Forte de la Sollicitude royale, la CGEM, jadis tolérée, est désormais reconnue en tant qu’organe responsable. Elle a fini par s’imposer en interlocuteur incontournable. Elle participe au dialogue social depuis le début des années 90. Elle entretient un dialogue régulier avec l’administration au sujet des lois de Finances, de l’application du Programme d’ajustement structurel (1 et 2), de la promotion des exportations, des questions fiscales et sociales, de la politique monétaire et de crédit, de la réglementation des prix.

Pour la première fois, la CGEM accueille, le 19 juillet 1989 à Casablanca, le Président de la Banque mondiale, Barber Conable. Cette rencontre a accordé à l’organisation patronale plus de poids et d’attention qu’elle n’en avait auparavant. Les consultations CGEM-BM ont commencé dès la mise en place du PAS en 1983. Plusieurs réunions ont eu lieu avec les experts des deux institutions FMI-BM. Les contacts devaient se poursuivre au plus haut niveau. Ainsi, la rencontre avec M. Conable de la Banque Mondiale, a permis d’aborder les modalités d’application du PAS et de son impact économique, financier et social.

La moralisation des affaires

Abderrahim Lahjouji (1994-2000)

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…La campagne d’assainissement qui deviendra « campagne de moralisation » des affaires, démarre sur l’obligation de respect des règles des régimes en douane ainsi que sur la déclaration des marchandises. Cette campagne, d’une ampleur sans précédent, sera officiellement menée par les ministères de l’Intérieur et de la Justice.

Les entrepreneurs n’en sont pas les seules victimes. Plusieurs accusés innocents deviennent victimes de nombreuses dérives. Les arrestations de ces personnes opérées par les forces de l’ordre, restent à ce jour la face sombre de la campagne d’assainissement. Le symbole le plus frappant de ces dérives fut la lourde peine de prison infligée à un opérateur en industrie pharmaceutique, Mohamed Moncef Benabderrazik. Cet homme sera condamné pour l’importation d’un sang décrété contaminé, alors que les analyses n’avaient rien décelé de tel…La liberté sera enfin rendue aux victimes de ce procès inique lié à ladite campagne. Ils ont tous bénéficié de la grâce royale……Pour la première fois de son histoire, la confédération sera reçue par S.M le Roi Hassan II, ouvrant ainsi la voie au Gentlemen´s Agreement qui sera signé entre le patronat et les Pouvoirs publics.

Ce que Lahjouji en pense aujourd’hui

…C’est dans la Salle du Trône que Feu S. M le Roi Hassan II évoqua alors son souhait d’une nouvelle Commission avec les ministres concernés. «Je vous donne la possibilité de vous exprimer à travers une Commission spéciale», a-t-il déclaré aux ministres de l’Intérieur, des Finances, de la Justice et de l’Agriculture. La CGEM était également présente. Après cela, eut lieu au ministère de l’Intérieur la première réunion entre les quatre parties nommées où Kabbaj, ministre des Finances, a tenu tête à Basri. Il déclara publiquement qu’il rendait un hommage particulier à la CGEM et aux responsables de celle-ci, pour leur mobilisation contre l’injustice majeure faite aux acteurs économiques. «Heureusement que le Roi est intervenu», conclut-il son intervention. 

Les réunions entre le gouvernement et le patronat se poursuivaient quand une nouvelle exigence Royale fit cesser les «hostilités». Il nous fut alors demandé d’établir un «Gentlemen’s Agreement» en bonne et due forme. Le texte de ce contrat entre les parties que nous représentions, nous a pris plusieurs semaines de rédaction. L’ordre royal était clair: nous allions devoir travailler à l’apaisement. Le document fut signé devant tous les membres actifs de l’administration générale, Walis, Gouverneurs, grands directeurs du ministère de l’Intérieur, etc.

Une solidarité de raison

Hassan Chami (2000/2006)

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À l’orée des années 2000, L’accord d’association avec l’Union Européenne entre en vigueur. Le patronat estime qu’au-delà des entreprises publiques, «les monopoles publics peuvent être plus valorisés qu’ils ne le sont déjà. Ils pourraient devenir les porte-avions de l’économie de notre pays autour desquels graviteront les flottilles de bateaux plus petits». Une façon élégante d’annoncer la volonté d’une solidarité de raison entre l’entreprise publique et l’entreprise privée.

Initié au milieu des années 90, le programme de privatisation s’inscrit dans une logique globale des réformes: libération du commerce extérieur, déréglementation des prix, ouverture de l’économie aux investissements étrangers, modernisation du système fiscal, restructuration des entreprises d’État, modernisation du marché des capitaux.

Le Plan Émergence voit le jour en 2005. Il propose de renforcer et de redynamiser le tissu industriel national ainsi que son accroissement concurrentiel, fondé sur une politique orientée vers des secteurs pour lesquels le Maroc présente des avantages compétitifs, sur le marché local et à l’international.

La CGEM s’investit auprès de ses adhérents pour une sensibilisation à la modernisation des méthodes de gestion, vers la conquête des marchés extérieurs. De massives suppressions d’emploi sont attendues si l’on ne mise pas sur l’avenir. Selon le patronat, pas moins de 50.0000 emplois seraient menacés à défaut de mesures gouvernementales fortes. En 2000, le Président Chami, en présence du ministre de l’Industrie, déclare : « Près de 30.000 emplois ont été supprimés du fait de la non compétitivité de nombreuses entreprises, (…) Nous souhaitons instaurer un dialogue avec le Gouvernement pour qu’il nous accompagne dans la mise à niveau de nos entreprises.»

En pleine mondialisation, c’est en 2003 que la CGEM induit un nouveau code du travail introduisant la barémisation des indemnités de licenciement et permet aux partenaires sociaux de passer par la voie judiciaire. La seconde mesure concerne le droit de grève. À charge pour l’entreprise de contribuer à la mise en place d’une indemnité pour perte d’emploi et d’une assurance maladie obligatoire pour les employés.

La rationalisation Moulay Hafid Elalamy (2006-2009)

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En juin 2006, l’organisation procède à l’élection de son nouveau Président, Moulay Hafid Elalamy. Candidat unique, il est élu d’office…Multipliant les discours décomplexés, le président Elalamy, continue à faire bouger les lignes: réforme des structures de la confédération, renouvellement de toute l’équipe, le président annonce qu’il désire «réconcilier» les grands groupes avec la CGEM. Ceux-ci, incertains, pensaient alors qu’il était anormal qu’une entreprise qui réalise des milliards de dirhams de chiffre d’affaires, ait le même poids qu’une PME.

Ce qu’Elalamy en pense aujourd’hui

«La rédaction du Livre blanc que nous avons publié en 2008 me paraît un bon repère de ce que nous avons tenté de faire progresser au sein de la CGEM. Renforcer et consolider le dynamisme de l’économie marocaine. Le mot d’ordre royal consistait à accélérer le processus de modernisation et de développement que connaît le Maroc. Le Livre blanc de la CGEM reste aujourd’hui une force de propositions, un modèle économique "parfait", conçu à partir d’un certain nombre de démarches que le patronat souhaitait mettre en marche. Une façon pour nous de contribuer à la réflexion nationale.

Une autre réalisation majeure à mon sens fut celle de la création du label CGEM. Il s’agissait de définir nos responsabilités et de les rationnaliser sous la charte d’un label moderne et universaliste. Le label CGEM allait nous aider à faire entrer l’entreprise dans le XXIe siècle. Nous l’avons conçu comme une distinction spécifique, qui affiche, pour les affiliés, la responsabilité sociétale de l’entreprise, son engagement dans ce sens et l’intégration de ses valeurs dans la stratégie managériale de l’entreprise comme dans ses activités quotidiennes. Nous tenions à mettre le progrès à l’honneur: celui des conditions de travail du salarié, du partenaire économique et celui de la communauté en général. Nous avons évidemment rencontré quelques difficultés à la création du label CGEM. La RSE représentait un grand changement dans les pratiques habituelles. C’est toujours compliqué. Pour exemple, le principe de parité dans l’entreprise n’a pas toujours été compris, comme le fait de consacrer des emplois aux personnes handicapées. Ce sont les PME qui sont le plus loin de l’accès à la labélisation.

Une économie en résilience

Mohamed Horani (2009-2012)

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La CGEM de Mohamed Horani et son équipe auront, à la charnière de la réforme constitutionnelle de 2011, à communiquer et négocier avec deux chefs de Gouvernement différents: Abbas El Fassi (de septembre 2007 à fin novembre 2011) et Abdel-Ilah Benkirane (à partir du 29 novembre 2011).

…Sous son mandat, la CGEM a dû, surtout, composer avec une grave crise économique et sociale. L’implication du patronat dans le cadre du comité de veille stratégique, créé par le gouvernement a permis de sauver des milliers d’emplois dans les secteurs du textile-habillement et de l’automobile. On compte également à son actif le courage d’accepter une hausse du SMIG (+15%), très difficilement négociée avec les siens et les accords de modération sociale signés avec les syndicats (2011), ou encore la défense acharnée du projet de loi limitant les délais de paiement à un maximum de 90 jours. 

Au plan de la gestion interne, la CGEM lui doit une initiative d’assainissement de ses comptes en ayant décidé de radier 460 entreprises membres, non à jour de leurs cotisations, ce qui s’est traduit par un provisionnement de 25 millions de dirhams et, in fine, une perte nette comptable de 5,6 millions de MAD à fin 2010.

Ce que Horani en pense aujourd’hui

Ma décision la plus difficile? Ce fut certainement la négociation de l’accord du dialogue social du 26 avril 2011 avec les partenaires sociaux. Les négociations ont perduré jusqu’à la veille de la signature et ont abouti, dans le contexte social difficile de l’époque à une restauration de la confiance entre les partenaires sociaux. Le patronat a consenti une valorisation du SMIG de 15 %, fractionnée en deux temps pour tous les secteurs à l’exception du secteur textile-habillement qui a bénéficié d’un fractionnement en six tranches. J’ai dû organiser un Conseil d’Administration le 26 avril, le jour même de la signature, pour valider les résultats desdites négociations. Le débat y a été houleux, mais après des échanges francs et responsables, le Conseil a accepté à l’unanimité les termes de l’accord.

La décision qui m’a le plus marquée? La mise à niveau des statuts de la CGEM par rapport à la nouvelle Constitution 2011 et la préparation de la rentrée de la CGEM au Parlement. Votée à une majorité écrasante avec quelques réticences au Conseil national de l’entreprise (CNE), cette rentrée a été acceptée à l’unanimité par l’Assemblée générale extraordinaire tenue spécialement pour valider les nouveaux statuts. Les partisans du «non» au CNE invoquaient, de bonne foi, le risque de politisation de la CGEM.

Leadership et inclusion

Miriem Bensalah-Chaqroun (2012-2018)

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L’élection d’une femme à la tête de la CGEM est, à coup sûr, une première historique tant au Maroc qu’en Afrique et dans le monde arabe. Miriem Bensalah-Chaqroun, candidate unique, a reçu les soutiens de pratiquement toutes les composantes de l’organisation patronale. Son élection survient à un moment inédit où le secteur industriel poursuit son décrochage, le chômage continue de croître et le déficit de la balance des paiements se creuse davantage. Contexte inédit aussi avec l’arrivée au gouvernement du PJD (Parti de la Justice et du Développement), dirigé par Abdel-Ilah Benkirane, à l’issue des élections législatives du 25 novembre 2011.

Les patrons font désormais bloc et veulent regagner en compétitivité. Il est vrai, par exemple, que la pression fiscale (l’une des plus lourdes au monde) pèse davantage sur les PME. La réforme fiscale revient comme un leitmotiv. Un thème que Miriem Bensalah-Chaqroun a abordé avec vigueur lors des Assises de la fiscalité.

Ce que Bensalah en pense aujourd’hui

Au terme de mes deux mandats, je suis assez satisfaite Nous sommes parvenus à mobiliser hommes et femmes du secteur de l’entreprise pour créer un partenariat fort entre le public et le privé. Je constate que, désormais, la CGEM écrit une partie de la stratégie économique nationale. Dès le début, il m’a paru important d’instaurer un vrai système d’«inclusion». Celle des jeunes, des femmes et des territoires. Je considère que ces trois entités représentent le Maroc de demain. Dans ce sens, je me réjouis de la parité établie au sein du Conseil d’Administration. Je pense qu’il est important pour chaque acteur de notre société d’être entendu car la dimension humaine est fondamentale.

Mon conseil à mes successeurs à la tête de la Confédération? Faire preuve d’abnégation et se débarrasser des intérêts partisans. Se souvenir que nous sommes une ONG complètement indépendante, socialement responsable. Privilégier l’inclusion des femmes, des jeunes et des territoires. Promouvoir nos valeurs et le sens des responsabilités sociales dans l’entreprise. Inclure l’informel au sein du système économique car il n’est pas normal qu’un entrepreneur qui paie ses charges, soit mis sur le même plan qu’un autre qui ne contribue pas à la communauté et ne paie pas d’impôts. C’est de la concurrence déloyale. Continuer à proposer des études et des recommandations aux Pouvoirs publics. Contribuer à devenir un pays prospère et créateur de richesses, avec des droits et des devoirs bien compris. Aujourd’hui, j’ai envie de penser que la CGEM a une âme, un coeur, un portefeuille et aussi une plume pour le dire».

Par Wadie El Mouden
Le 14/07/2018 à 16h30