Reportage. Comment le marché noir réagit à la flexibilité du dirham

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Depuis l'annonce de l'adoption de la flexibilité du dirham, le marché traverse une zone de turbulences. Ecarté par les pouvoirs publics, le risque de dépréciation de la monnaie nationale pousserait des acteurs du marché noir à stocker de la devise pour mieux spéculer. Qu'en est-il réellement?

Le 01/07/2017 à 16h20

La rareté de la devise sur le marché est-elle réelle? A l'approche de l'entrée en vigueur de la flexibilité du dirham, les rumeurs vont bon train. Le risque que la monnaie nationale connaisse une dévaluation aurait poussé des opérateurs du marché noir à stocker les devises en spéculant sur la dépréciation du dirham. Est-ce vrai? 

Pour en avoir le cœur net, nous prenons la direction de l'ancienne médina de Casablanca et nous nous rendons sur l'avenue Houphouet Boigny. A peine abordé, le tenancier d'une boutique de produits artisanaux, également fournisseur en devises étrangères, embraie sur la rareté de l'euro. «Pour 2.000 euros, revenez demain vers 11 heures. Je n’ai pas en ma possession une telle somme pour l’instant. D’ailleurs, j’attends un fournisseur»», lance-t-il. A quel coût? «J’achète l'euro à 11,20 dirhams et je le revends à 11,25 dirhams. Ma marge est réduite», précise-t-il.

Interrogé sur l'éventuelle dévaluation du dirham, qui surviendrait suite à l’entrée en vigueur du régime de la flexibilité des changes, il balaie d'un revers de la main tout lien entre cette mesure et l'absence de devises. Les MRE rapatrient moins de fonds, explique-t-il, et les contrôles de la police sont devenus plus dissuasifs.

L'air de rien, nous lançons à cet autre bazariste: «les banques disent que vous stockez de la devise pour vous prêter ensuite à des opérations de spéculation». La réponse ne se fait pas attendre: «ce sont les banques qui le font, elles en ont les moyens».

En concertation avec son voisin, lui aussi opérant dans le secteur, le bazariste avance des explications face à cette situation «inédite» de raréfaction de la devise et notamment de l’euro. Selon ces connaisseurs du marché noir du change, «les Marocains résidant à l’étranger ne sont pas rentrés au pays. Et même ceux qui sont revenus n’ont pas ramené d’argent avec eux».

Cet argument est cité pour la deuxième fois, et il convient de le prendre en considération, compte tenu de la crise que connaît le marché de l’emploi et la crise économique qui secoue les pays européens, où la majorité de nos MRE sont installés.

La hausse du prix de vente de l’euro qui s'écoulait sur le marché noir à 11,25 dirhams, jeudi 29 juin, contre 11 dirhams quelques jours auparavant, serait donc due à une pénurie sur le marché à cause de la diminution du pouvoir d’achat des MRE.

Nous comprenons au fil des conversations que le bénéfice de ces commerçants va de pair avec les gros montants. Ils margent quand les montants démarrent à 20.000 euros. Il est évident que les taux affichés par le secteur informel sont plus attractifs pour le consommateur marocain que ceux pratiqués par le réseau classique.

Au bureau de change, vers lequel nous nous sommes ensuite dirigés, l’euro est vendu à 11,95 dirhams. Soit un taux nettement supérieur à celui du marché noir.

L’on sait que dans des pays comme le Maroc, c’est le marché noir qui est le véritable baromètre de la convertibilité d’une monnaie nationale. Sous d'autres cieux, ce décalage est plus prononcé. A titre d’exemple, en Algérie l’euro se change à 122 dinars dans les banques et à 190 dinars au marché noir.

Par Imane Azmi
Le 01/07/2017 à 16h20