Algérie: pourquoi Bouteflika a humilié son Premier ministre

AFP

Porté le 25 mai 2017 à la tête de la Primature, Abdelmajid Tebboune est déjà désavoué, voire humilié, par celui-là même qui l’a désigné. Une situation rare qui montre que le pouvoir relègue au second plan la gouvernance quand il s’agit des copains et des affaires de Saïd Bouteflika.

Le 14/08/2017 à 14h44

Abdelmajid Tebboune n’a même pas eu droit au délai de grâce, –les 100 jours habituellement accordés à tout nouveau gouvernement–, qu’il se voit déjà pointé du doigt, désavoué, voire humilié par celui-là même qui a signé le décret de sa nomination, le 25 mai 2017, en l’occurrence le président Abdelaziz Bouteflika. Que s’est-il alors passé pour que le nouveau chef de l’Exécutif, si tant est qu’il le soit réellement, voit se déclencher à son encontre un processus de décrédibilisation, tendant à le corriger publiquement d’une manière humiliante? Le «délit» de M. Tebboune est d’avoir adressé le 17 juillet dernier une «mise en demeure» à l’entreprise du patron des patrons algériens, Ali Haddad. Le Premier ministre a également signifié au patron du Forum des chefs d'entreprise (FCE) qu’il n’était pas le bienvenu à une activité publique. Il n’en fallait pas plus pour que la presse algérienne parle de disgrâce d’Ali Haddad.

M. Tebboune savait évidemment que M. Haddad était proche de Saïd Bouteflika, mais ce qu’il ne savait peut-être pas, c’est que demander des comptes à un «pote» au frère du président pouvait mettre à nu la fragilité d’un régime où le clan, la région, le réseau, le copinage et les affaires jouent un rôle décisif dans l’exercice du pouvoir.

Les faits

Alors que la polémique battait son plein au sujet d’une éventuelle disgrâce de Ali Haddad, les funérailles de l’ancien chef de gouvernement Réda Malek allaient enterrer définitivement tout espoir de la chute du patron des patrons algériens. Saïd Bouteflika, qui occupe le poste de conseiller du président de la république d’Algérie, a montré ostensiblement toute l’affection qu’il avait pour Ali Haddad, ne le quittant pas, laissant les photographes fixer ce moment de complicité entre le pouvoir politique et les affaires, et allant jusqu’à faire le chemin du retour dans la même voiture.

Et comme si cette mise en scène, démontrant qu’il ne faut pas se frotter aux copains de Saïd Bouteflika, ne suffisait pas, le président algérien a remis une couche, le 8 août, en demandant à l’Exécutif de «mettre fin à l’anarchie née des dernières initiatives» et de cesser le «harcèlement» des hommes d’affaires.

Plus qu’un rappel à l’ordre ou un recadrage, le blâme adressé par le président algérien à son tout nouveau Premier ministre résonne comme une humiliation d’une rare violence envers une personnalité dont le statut et les missions sont fixés dans la Constitution.

Que faut-il alors retenir de cet épisode?

Cette situation a le mérite de mettre en évidence la toute-puissance de Saïd Bouteflika. La vacance institutionnelle incarnée par un président incapable de la moindre motricité, à plus forte raison de la gouvernance d’un pays menacé aujourd’hui plus que jamais de délitement et de déliquescence, donne les pleins pouvoirs au frère du président. Une préoccupation que les partis politiques, notamment dans l’opposition, ne se contentent plus de «se chuchoter», tellement la situation est grave. Désormais, des partis opposés osent même parler de «destitution» du "président-fantôme" et dénoncent ouvertement «l’existence d’un pouvoir parallèle» incarné par Saïd Bouteflika, lequel semble profiter de «l’absence de son frère aîné pour se positionner comme successeur à la tête de «l’Etat algérien» en perspective de la présidentielle de 2019.

La classe politique appelle à la "destitution" du président malade

Face à cette situation, «la classe politique, notamment l’opposition, sort de sa réserve et s’inquiète des conséquences de cette lutte du pouvoir sur la sécurité du pays», relève le quotidien "El Watan".

Vous avez bien lu: «la sécurité du pays» est en danger. Cette crise que connaît le sommet du pouvoir «influe négativement sur la gestion des affaires de l’Etat» et elle est «significative d’une aggravation de la crise de régime et de la profondeur de l’impasse politique générée par la vacance qui perdure au sommet de l’Etat», «impasse qui a dégénéré, en un délitement des institutions et constitue un danger pour la stabilité du pays et la sécurité nationale», avertit en effet Talaie El Hourriyet, parti de l’ancien Premier ministre, Ali Benflis, dans un communiqué, relayé par le quotidien «El Watan».

Plus direct encore, est le parti «Jil Jadid» qui appelle carrément à l’application de l’article 102 de la Constitution qui évoque des cas d’incapacité du président à gouverner. Il appelle à «une démission en bonne et due forme du président de la République» pour «éviter à l’Algérie une aventure gravissime».

Une «aventure gravissime» que la «démission» du "président malade" n’éviterait pas à elle seule, car la question qui se pose aussi, et surtout, est le frère du président lui-même, lequel veut vaille que vaille décrocher les clefs du Palais El Mouradia, ce qui reviendrait à préserver le clan Bouteflika à la tête du pouvoir. «L’accord tacite entre le président et son entourage était simple: le président mourra en tant que président, quels que soient son état et la durée de sa maladie. En retour, le clan assumera le pouvoir en son nom et préparera la succession le moment venu à sa convenance», dénonce le jeune parti Jil Jadid de Soufiane Jilali.

Même préoccupation exprimée par des politologues algériens, notamment Noureddine Bouykouh qui évoque, sur sa page Facebook, «une situation de péril imminent», tout en appelant à «une destitution immédiate» du président qui présenterait des «signes de démence, de confusion mentale ou de perte de discernement».

Saïd Bouteflika fait la sourde oreille aux mises en garde de plus en plus nombreuses autant à l’intérieur qu’à l’extérieur du pays. L’Algérie va droit au mur et Saïd Bouteflika fredonne, heureux, «les copains d’abord».

Par Ziad Alami
Le 14/08/2017 à 14h44