Face au jihadisme, l'importance de ne pas surréagir

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Les jihadistes sont comme des mouches dans l'oreille d'un éléphant ou des guêpes dans un char d'assaut: seule une réaction excessive de leurs victimes peut leur donner des espoirs de gains politiques, préviennent des experts.

Le 22/09/2017 à 11h21

Les attentats commis par des terrorristes aussi graves et dramatiques soient-ils, ne constituent pas une menace vitale pour les démocraties visées, ajoutent-ils. En revanche, une surréaction peut conduire à l'adoption de mesures drastiques, à des réponses militaires ou policières disproportionnées qui vont en fin de compte faire le jeu des assaillants.

"La stratégie du groupe État islamique (EI) est largement incomprise", confie à l'AFP Alexander Ritzmann, ancien élu au parlement local de Berlin et membre de l'European Foundation for Democracy. "Ils ne cherchent pas seulement à tuer des Européens mais surtout à accroître la polarisation des sociétés européennes et répandre la peur et la suspicion à l'égard des musulmans".

"Il faut que les responsables politiques et le public le comprennent mieux pour éviter que nous ne tombions dans le piège tendu par l'EI", ajoute-t-il.

Dans son dernier ouvrage, "Homo Deus", l'historien Yuval Noah Harari écrit: "Comment les terroristes parviennent-ils à faire les gros titres et à changer la situation politique à travers le monde ? En poussant leurs ennemis à surréagir".

"Au fond, le terrorisme est un show. Les terroristes montent un terrifiant spectacle de violence qui frappe notre imagination et nous donne le sentiment de régresser dans le chaos du Moyen-Age. Les États se sentent souvent obligés de réagir au théâtre du terrorisme par l'étalage de mesures de sécurité, orchestrant d'immenses déploiements de force, allant jusqu'à persécuter des populations entières ou envahir d'autres pays. Dans la plupart des cas, cette réaction démesurée menace bien davantage notre sécurité que les terroristes eux-mêmes", ajoute-t-il.

"Les terroristes sont comme une mouche qui essaierait de détruire un magasin de porcelaine. Elle est trop faible pour bouger ne serait-ce qu'une tasse à thé. Elle trouve un éléphant, se glisse dans son oreille et se met à vrombir. L'éléphant enrage de peur et de colère, et détruit le magasin de porcelaine. C'est ce qui s'est produit au Moyen-Orient au cours de la dernière décennie. Les islamistes n'auraient jamais pu renverser Saddam Hussein par eux-mêmes. Ils ont préféré faire enrager les États-Unis par les attentats du 11 septembre, et les États-Unis ont détruit le magasin de porcelaine du Moyen-Orient à leur place. Et les voici qui prospèrent sur les décombres".

"Il y a l'image de la mouche et l'éléphant, vous pouvez aussi utiliser celle de la guêpe dans un char d'assaut", dit à l'AFP Alain Chouet, ancien chef du service de renseignement de sécurité à la DGSE. "Ne traiter le terrorisme que de façon compassionnelle, en passant en boucle des témoignages de victimes traumatisées, c'est faire le travail des terroristes. C'est ce qu'ils cherchent".

Les médias, chaînes d'informations en continu notamment, et les sites web portent en la matière une responsabilité importante, estime-t-il, en servant de caisse de résonance et en surmultipliant le potentiel traumatique des attentats.

"Ce sont ces surenchères à l'horreur qui sont précisément recherchées par ceux qui mettent en oeuvre des stratégies terroristes et qui apportent une plus-value à leur action en bouleversant à moindre coût notre ordre sociétal", assure Alain Chouet. "La criminalité terroriste - qui est bien réelle et doit être traitée comme telle - ne vient pas en tête des problématiques criminelles dans nos pays. Il y a par exemple chaque année en France plus de femmes qui décèdent sous les coups de leur conjoint que de victimes du terrorisme".

Pour Yuval Noah Harari, "Coca-Cola représente pour l'Américain ou l'Européen moyen une menace plus mortelle qu'Al Qaïda". Après avoir été chef du renseignement de l'US Navy au Moyen-Orient de 2008 à 2011, le commandant Wayne Porter enseigne le contreterrorisme à l'Académie navale de Monterey (Californie).

"La seule menace existentielle que représentent pour nous les attentats, qu'ils soient réels ou potentiels, c'est que nous continuions à agir de manière contre-productive, avec une organisation anarchique et en dépensant de l'argent sans réfléchir", a-t-il confié récemment au New Scientist. "Notre stratégie actuelle antiterroriste, qui n'en est pas une, va détruire nos valeurs démocratiques".

Le 22/09/2017 à 11h21