Plainte de familles de huit pays contre l'UE pour sa politique climat jugée "insuffisante"

Eolienne et centrale à charbon à Jänschwalde, dans l'est de l'Allemagne.

Eolienne et centrale à charbon à Jänschwalde, dans l'est de l'Allemagne. . AFP

Une dizaine de familles de huit pays, d'Europe mais aussi du Kenya et de Fidji, ont saisi la Cour européenne de Justice pour réclamer à l'UE de faire plus contre le changement climatique, ont annoncé jeudi 24 mai leurs représentants.

Le 30/05/2018 à 07h52

La plainte déposée mercredi auprès de la Cour vise à faire reconnaître que l'objectif de l'UE en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre est "insuffisant", a expliqué le Réseau Action Climat, qui réunit des ONG de toute l'Europe et porte cette affaire baptisée "People's climate case".

Une affaire qui amène à se poser toute une série de questions (Y a-t-il des responsables du réchauffement? Qui doit payer pour les impacts?) et qui rappelle que les dérèglements climatiques se faisant de plus en plus sentir, les "victimes" mettent désormais en avant la notion de "justice climatique". 

Quelques repères.

L'idée de "justice climatique" émerge au début des années 2000, portée par des mouvements citoyens qui dénoncent les inégalités entre populations du Nord et du Sud face aux effets du réchauffement mondial. Les ONG insistent sur le droit de tous, en particulier des plus vulnérables, à une planète en bonne santé.

Après un premier "sommet" de la société civile sur ce thème en 2000 à La Haye, une coalition d'ONG adopte, en 2002, 27 "grands principes de la justice climatique": "dette écologique" des pays industrialisés et des multinationales, "responsabilité" judiciaire des industries pétrolières et minières, "indemnisation" des "victimes"...

Les dirigeants des pays du Sud s'emparent du concept. Et en 2015, l'Accord climat de Paris, adopté sous l'égide de l'ONU, note dans son préambule "l'importance pour certaines (communautés) de la notion de justice climatique dans l'action menée face aux changements climatiques".

En parallèle aux discussions diplomatiques s'est développée une approche juridique. Selon une évaluation du Grantham Research Institute on Climate Change de Londres publiée en avril, il existe plus de 1.500 lois dans le monde liées au réchauffement, soit plus de 20 fois plus qu'en 1997. Tous les signataires de l'accord de Paris en ont au moins une.

Et les recours en justice se multiplient. Avant l'annonce de la plainte contre l'UE, Grantham répertoriait plus de 270 affaires se référant au climat dans 25 juridictions, hors Etats-Unis où le contentieux atteint plus de 800 cas.

Les plaignants visent souvent des gouvernements mais aussi des entreprises:

- Aux Pays-Bas en 2015, un tribunal, saisi par l'ONG Urgenda et 900 citoyens, ordonne à l'Etat de réduire les émissions de gaz à effet de serre dans le pays de 25% d'ici à 2020. Un procès en appel est prévu prochainement.

- En Allemagne en novembre 2017, la justice accepte d'examiner la requête d'un paysan péruvien qui veut contraindre le géant de l'énergie RWE à réparer les effets du changement climatique dans les Andes.

- Aux Philippines en 2015, des victimes de typhons et des ONG saisissent la Commission sur les droits de l'Homme du pays contre 47 multinationales (Shell, ExxonMobil, Chevron...). L'enquête de cette institution indépendante est en cours.

- Aux Etats-Unis en 2015, une vingtaine d'enfants et adolescents déposent avec l'association Our Children's Trust un recours devant un tribunal de l'Oregon, réclamant au gouvernement de baisser de manière significative les émissions de CO2. Ils estiment que leurs "droits constitutionnels" à la vie, la liberté et la propriété ont été violés. Un procès est prévu fin octobre 2018.

L'article 8 de l'accord de Paris reconnaît "la nécessité d'éviter les pertes et préjudices liés aux effets néfastes des changements climatiques". Mais la décision l'accompagnant précise que cela ne peut servir de fondement "à aucune responsabilité ni indemnisation". Les pays du Sud n'ont pas pour autant abandonné leurs revendications sur ce sujet ultra-sensible.

Dans le cadre judiciaire, des questions se posent aussi: quelle causalité entre un effet néfaste et les émissions d'un Etat ou d'une entreprise? Comment répartir les responsabilités pour estimer d'éventuelles compensations?

Une étude publiée en 2014 dans la revue Climatic Change esquisse une piste en quantifiant les émissions de CO2 et de méthane d'une centaine de grosses entreprises pétrolières, minières et de cimentiers depuis la période pré-industrielle.

Une autre étude publiée en novembre dans Nature assure que "les récentes avancées scientifiques rendent possible l'attribution d'événements" météorologiques extrêmes au changement climatique, et permettent donc de déterminer des responsabilités "au niveau des Etats". Mais beaucoup de plaintes réclament des actes, et non des indemnités.

Le 30/05/2018 à 07h52