Accord de pêche Maroc-UE: l’avocat général de la CJUE met l’UE face à ses incohérences

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L’avocat général de la Cour de justice de l’Union européenne a rendu, mercredi, son avis sur l’accord de pêche Maroc-UE. S’il y est hostile, l’avis en question ne revêt pas un caractère contraignant. En revanche, il met à nu une Union polycéphale qui a besoin d’unifier sa voix et ses décisions.

Le 10/01/2018 à 17h33

L’avis se veut défavorable. Et il l’est clairement. C’est en tout cas ce qu’a émis l’avocat général de la Cour de justice européenne (CJUE), Melchior Wathelet, concernant l’accord de pêche Maroc-Union européenne (UE). Il va jusqu’à le juger comme invalide. Le motif est qu’il «bafoue» le droit «du peuple sahraoui» à «l’autodétermination».

L'UE n'a «pas mis en place les garanties nécessaires pour s'assurer que l'exploitation des ressources se fasse au bénéfice du peuple de ce territoire», a estimé l’avocat général. «Selon les chiffres de la Commission, les captures effectuées dans la seule zone de pêche n°6 (soit la zone adjacente au Sahara marocain, NDLR) représentent environ 91,5% des captures totales effectuées dans le cadre de l’accord de pêche et du protocole de 2013. Ceci démontre clairement que l’application de l’accord de pêche et du protocole de 2013 aux eaux adjacentes au Sahara occidental est exactement ce que les parties ont envisagé dès le départ», lit-on dans le document dans lequel il argumente son avis.

La Cour doit désormais donner son «opinion». En attendant, quelles seraient les implications de l'avis de l'avocat de la CJUE? Il ne s’agit pour le moment que d’un avis. Reste à savoir ce que la Cour en fera. Celle-ci avait été saisie par un tribunal britannique, après avoir été lui-même interpellé par une association pro-séparatistes, Western Sahara Campaign, ouvertement hostile à cet accord, signé en 2006 et qui a fait l'objet d'un protocole en 2013. «Ce n’est pas l’avis de la CJUE ni un arrêt de cette instance. Ces éléments n’engagent que la personne de Melchior Wathelet. La pratique précédente sur l’affaire de l’Accord agricole montre que les conclusions de l’avocat général ne sont pas toujours prises en compte ou suivies. Il s’agit donc d’une phase préliminaire à la décision de la Cour sans aucun impact juridique», explique une source bien informée à Le360.De plus, Melchior Wathelet n'est qu'un juge parmi les quinze qui composent la Cour européenne. Son avis équivaut à l’opinion d’un juge rapporteur et n’est en aucun cas l’équivalent d’un arrêt ou d’une décision. Les conclusions de ce juge surprennent au demeurant par leur déconnexion vis-à-vis du droit international et les règles onusiennes. Sa lecture du dossier est abusive, dans la mesure où ses conclusions ne reposent pas sur l’application du droit, mais sur une interprétation tendancieuse du dossier. Au lieu d’appliquer le droit, Melchior Wathelet lui tord le cou pour le rendre conforme à des conclusions qu’il semble considérer comme des a priori à caractère davantage politique que légal.

Particulièrement à charge, le contenu du document de l’avocat général dépasse ainsi toutes les jurisprudences et ne tient pas compte des fondamentaux du dossier du Sahara, ni de son historique, ajoute notre source. En cela, Wathelet dépasse le cadre de son action.

L’UE, une institution sans tête

L’Union Européenne, elle, envoie des signaux contradictoires et incompréhensibles. D’un côté, elle félicite la bonne exécution de l’accord de pêche ainsi que son impact fort et visible sur les populations concernées. A ce titre, la Commission européenne vient également d’obtenir le mandat du Conseil européen pour démarrer de nouvelles négociations avec le Maroc pour le renouveler. Donc, nous avons d’un côté la Commission européenne et le Conseil européen qui donnent leur accord pour le renouvellement de l’accord de pêche, il y a trois jours, et, d'un autre côté, un juge de la Cour européenne qui invalide ce mercredi cet accord. Cette polyphonie crée une cacophonie et suscite de nombreuses interrogations. Sommes-nous en présence d'une Europe des institutions ou d'une Europe des juges? La Commission européenne et le Conseil européen, qui sont parmi les principales institutions de l’UE, ne sont donc pas entièrement fiables et audibles. Si l’Europe veut peser sur les questions internationales et fonder des partenariats durables, il convient qu’elle s’engage à davantage de cohérence dans ses décisions.

L’accord de pêche entre le Maroc et l’UE ne revêt pas un aspect stratégique pour le Maroc qui est engagé dans une vision nationale pour le développement, la valorisation, la protection et la pérennité de ses ressources maritimes: le plan Halieutis. D’ailleurs, c’est l’UE qui demande au Maroc d’autoriser ses bateaux à pêcher sur les côtes du royaume. Notre pays ne sollicite pas d’accord de pêche avec l’UE. L’accord de pêche Maroc-UE est voulu et défendu par l’UE. La contrepartie financière que reçoit le Maroc est bien en deçà des bénéfices sociaux (nombres d’emplois dans les usines européennes alimentées par cet accord) et économiques tirés par l’UE de cet accord. Il a été signé et ratifié dans le cadre d’une coopération générale qui se veut juste et équilibrée. Remettre en question l'une de ses composantes, c’est remettre en cause jusqu’à l’esprit dans lequel cette collaboration s’inscrit.

Le royaume a signé d’autres accords de pêches internationaux, notamment avec la Russie et le Japon. Ces deux pays ne respectent-ils pas la légalité internationale? Sont-ils hors-la-loi, sans institutions pour veiller à l’application du droit? Là où l’UE pèche par des excès procéduriers, qui excèdent même le périmètre du droit pour se hasarder dans des interprétations qui n’engagent que la partie qui s’y livre, d’autres grands pays et groupements se référent à l’application stricte du droit et au respect des décisions de l’ONU, la seule institution habilitée à se prononcer sur le conflit du Sahara.

Si l’UE venait à prendre à la lettre les conclusions de l’un des quinze juges de la cour européenne, à qui va s’adresser cette Europe quand des émigrés vont s’acheminer en masse vers les Iles Canaries, quand des trafiquants de drogue ou des terroristes seront poursuivis dans ce vaste territoire du sud marocain, appelé le Sahara occidental? Qui est responsable de la sécurité de l’espace aérien et maritime au Sahara atlantique? Quand un juge est obnubilé par des considérations politiques, il ne marginalise pas seulement le droit, mais se détourne du réel.

  • conclusions_c_266-16fr.pdf
Par Tarik Qattab
Le 10/01/2018 à 17h33