Condamnation de Bouachrine: la presse nationale est partagée

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Revue de presseKiosque360. L’ancien directeur de publication d’"Akhbar Al Yaoum" a été condamné à 12 ans de prison. Un jugement considéré comme «allégé» par ses victimes et «sévère» par des acteurs associatifs. Au PJD, il a été érigé en «héros et symbole de la liberté d’expression au Maroc».

Le 11/11/2018 à 23h27

Ceux qui ont suivi depuis le début le procès Bouachrine, condamné à 12 ans de prison pour traite d’êtres humains, craignaient ce scénario. C’est ce qui s’est finalement produit: une fuite en avant vers un traitement politicien de l’affaire, commente l’éditorialiste d’Al Ahdath Al Maghribia dans l’édition du lundi 12 novembre.

Ce jeu politicien a démarré avec le rôle négatif des avocats de l’accusation, celui, également négatif, d’un clan du PJD, par la négation systématique des faits, pourtant avérés. C’est donc tout un feuilleton qui a pris fin avec le jugement, prononcé vendredi tard dans la nuit, avec la condamnation que tout le monde attendait, ajoute l’éditorialiste. 

Cependant, note la même source, les victimes ont été déçues. Elles entendent donc interjeter appel, une décision applaudie d’ailleurs par tous ceux qui ont une connaissance un tant soit minime du code pénal marocain et qui n’ont pas manqué de faire le parallèle avec la tristement connue «affaire du commissaire Tabet» du début des années 90. Les deux affaires présentent en effet, affirme l’éditorialiste, beaucoup de similitudes. Ce qui logiquement supposait un jugement d’au moins 20 ans de prison, 30 ans même. Le montant d’indemnisation pour préjudice subi par les victimes est également en deçà des attentes.

En définitive, nous n’en sommes qu’au début du procès. La phase d’appel risque d’être riche en développements. Et ceux qui ne sont pas particulièrement du côté ou contre le mis en cause estiment que le rôle de sa défense sera crucial dans la prochaine étape.

Ses avocats, souligne l’éditorialiste d’Al Ahdath Al Maghribia, n’ont fait que l’enfoncer davantage, en première instance, en lui conseillant de tout nier en bloc. Cependant, une partie de sa défense, qui estime que l’affaire aurait pris un autre tournant s’il avait reconnu des relations consensuelles, a fini par se retirer.

En revanche, une autre partie plus politisée, arborant la bannière du PJD ou du PML, est restée jusqu’au bout, mais en profitant de ce procès pour jouer à un jeu trouble où sont mêlés, dans un règlement de comptes, Akhannouch, Benkirane, le gouvernement, la nation et une supposée volonté de se venger d’un journaliste qui dérangerait.

Bref, ceux qui ont choisi de politiser cette affaire voulaient juste brouiller les cartes, parce qu’ils étaient perdants d’avance, conclut l’éditorialiste d’Al Ahdath Al Maghribia, tout en se demandant ce qui serait advenu si au lieu de choisir l’escalade, on avait plutôt opté pour la voix de la raison.

Akhbar Al Yaoum consacre un reportage à la nuit du jugement qu’il publie dans son édition du lundi. Le journal parle de «choc» et décrit la soirée dans les locaux de la cour d’appel de Casablanca comme une nuit à l’atmosphère empreinte d’abattement et de mélancolie.

«Injustice, Injustice… à bas l’injustice» ont scandé plusieurs personnes présentes à ce procès, relate le journal. Akhbar Al Yaoum qualifie la condamnation de son fondateur d’«exécution symbolique d’un journaliste des plus critiques envers le pouvoir». Mais, ajoute le journal, au lieu de l’abattre, «les flèches de la justice en ont fait un symbole de la liberté de la presse et d’expression». 

Comme il fallait s’y attendre, le journal a largement commenté le dernier plaidoyer de l’accusé avant le jugement. Il est également revenu sur quelques épisodes du procès avant de conclure son reportage par un «signe de la victoire» que le condamné a levé après le renoncement de la sentence, avec un sourire sur les lèvres. Ce qui fait dire au dirigeant du PJD, le conseiller parlementaire Abdelali Hamieddine, cité par le journal, que «Bouachrine est devenu un héros et un symbole pour la liberté d’expression au Maroc». 

Pour sa part, le quotidien Al Akhbar a consacré également un reportage à ce procès dans son édition du lundi. Le jugement a donné lieu à un brouhaha, des cris, des personnes qui se sont effondrées et d’autres tombées inconscientes, dont un certain Maati Mounjib, poursuivi, lui, dans le cadre d’une autre affaire, pour atteinte à la sécurité intérieure du pays, écrit le journal. La sentence, poursuit Al Akhbar, a été jugée «allégée» par les victimes et leurs avocats alors que l’autre partie parle d’un «choc». 

Par ailleurs, en plus de la condamnation à 12 ans de prison de l’inculpé, la chambre criminelle près la cour d’appel de Casablanca a également prononcé une amende de 200.000 DH et s’est déclarée incompétente quant à la demande du ministère public. Le juge a également ordonné la destruction des CD et de tous les autres supports informatiques et la publication du jugement sur les colonnes d’un journal national.

Pour ce qui est des dommages et intérêts, le juge a ordonné des réparations dont le montant varie entre 100.000 et 500.000 DH. Soit un total de 2,2 millions de DH. Un montant que les victimes ont qualifié de dérisoire.

Bouachrine a été condamné, rappelle le quotidien Al Massae dans son numéro du lundi, pour traite d’êtres humains, par l’exploitation d’une situation de vulnérabilité ou de besoin et le recours à l’abus d’autorité, de fonction ou de pouvoir à des fins d’exploitation sexuelle, ou le recours à d’autres formes de contrainte, commises à l’encontre de deux personnes en réunion et attentat à la pudeur avec violence.

Selon le journal, qui cite des acteurs associatifs défenseurs des droits de l’Homme, le jugement est «sévère» et le procès aurait été entaché de quelques «irrégularités». De toutes les manières, conclut le journal, les partis peuvent interjeter appel après expiration d’un délai de 10 jours.

Par Amyne Asmlal
Le 11/11/2018 à 23h27