La diplomatie du cadeau

Zineb Ibnouzahir.

ChroniqueCette fontaine n’est pas une fontaine comme les autres. C’est une masterclass de diplomatie qui balaie, de manière aussi cinglante qu’élégante, les gesticulations de ceux qui tentent de se créer une histoire en faisant dans la réappropriation et le pillage culturels.

Le 18/02/2024 à 13h29

Jeudi dernier, le Maroc s’est illustré en faisant cadeau d’une magnifique fontaine, bien de chez nous, à l’Union africaine. C’est au sein même du siège de l’organisation panafricaine que trône désormais ce chef-d’œuvre de l’artisanat marocain, dans le grand hall, face à la salle de conférence Nelson Mandela.

Cette fontaine n’est pas un cadeau comme les autres. Elle s’inscrit dans la tradition ancestrale de la diplomatie du cadeau, pratiquée bien avant que les premiers diplomates n’apparaissent aux 17ème siècle. Cette tradition répond à une fonction pacificatrice, mais a surtout pour objectif de vanter un savoir-faire incarné tantôt par des animaux, des armes, des objets précieux ou encore de la nourriture que l’on offre. Aujourd’hui, les chefs d’État rivalisent d’imagination pour tenter de contenter leurs homologues, mais avant toute chose, de faire briller leur pays tout en adressant un message politique. Car tout cadeau offert par le biais de la diplomatie est porteur d’un message politique.

Cette fontaine, offerte par le Royaume du Maroc, n’est donc pas qu’une simple fontaine, en ce que la symbolique de ce présent est forte à plus d’un titre. Dans chacun des milliers de petits zelliges colorés, précieusement, patiemment taillés à la main par un maître-artisan, se nichent plusieurs siècles d’histoire d’un patrimoine culturel souvent imité, mais jamais égalé.

Dans cette pièce magistrale qui trône fièrement en plein cœur du siège de l’Union africaine, dont les regards ne peuvent se détourner, il y a la représentation, fière et magistrale, d’une longue histoire culturelle et artistique qui se transmet de génération en génération d’artisans marocains.

Enfin, dans ce présent, tout en finesse et en richesse, il y a un message fort destiné à ceux qui tentent, en vain, de revendiquer un patrimoine qui ne leur appartient pas. En arabe dialectal, on le résumerait ainsi: koun sbaâ ou koulni («Soit un lion et dévore-moi»). Mais n’est pas lion qui veut.

Alors non, cette fontaine n’est pas une fontaine comme les autres. C’est une masterclass de diplomatie qui balaie, de manière aussi cinglante qu’élégante, les gesticulations de ceux qui tentent de se créer une histoire en faisant dans la réappropriation et le pillage culturels.

«Il ne faut pas perdre son temps à faire valoir des arguments de bonne foi avec des gens de mauvaise foi», disait feu le roi Hassan II. Jamais cet adage n’a été aussi vrai et aussi bien appliqué par le Maroc, qui, par le biais de ce présent, s’adresse par la voix de son artisanat à nos voisins de l’Est, et en prenant l’Afrique entière à témoin, balayant d’un revers de la main les ridicules gesticulations visant à revendiquer les origines algériennes de l’art du zellige.

Face à ce chef-d’œuvre de savoir-faire qui réunit, en une fontaine, plusieurs métiers ancestraux, ceux du bois et du plâtre sculptés, du laiton ciselé et perforé, et bien évidemment du zellige, le Maroc a tout bonnement ridiculisé le régime algérien qui, pour seule démonstration de son savoir-faire artisanal, avait fait imprimer des motifs de zellige sur les maillots de son équipe nationale de football… On en viendrait presque à regretter qu’il n’ait pas réitéré la chose en offrant, en guise de gifts diplomatiques, des tee-shirts «zelligés» aux membres de l’Union africaine, afin d’asseoir sa légendaire suprématie historique et culturelle.

Manque de bol, le Maroc, encore lui, a pris les devants. Sûrement un coup monté, un de plus, s’indignera-t-on dans les colonnes de la presse à la botte de la junte…

Mais à part un tee-shirt, qu’aurait bien pu offrir l’Algérie afin de faire briller son savoir-faire? On se le demande. Car pour faire montre de son artisanat, encore faudrait-il que l’Algérie en dispose d’un. Or, le seul patrimoine artisanal dont elle peut s’enorgueillir aujourd’hui est celui que les artisans marocains ont laissé derrière eux à Tlemcen, la plus marocaine des villes algériennes.

Quoique, l’Algérie ne serait pas à une entorse près de l’histoire, rompue qu’elle est à la pratique du plagiat et de la dépossession culturelle. Toute honte bue, n’a-t-elle pas tenté d’enregistrer ses chimères au patrimoine mondial de l’UNESCO, par la voix de sa ministre de la culture qui a récemment annoncé l’intention de l’Algérie d’inscrire auprès de l’instance internationale le melhoun et le zellige dits «algériens»?

Un coup d’épée de plus dans l’eau, puisque le melhoun a récemment été enregistré par le Maroc auprès de l’UNESCO, et que le zellige a été enregistré quant à lui auprès du Bureau de la propriété intellectuelle.

Alors, à ce pays qui ne veut pas entendre raison, et à tous les pays africains, le Maroc offre cette fontaine, symbole d’un Maroc aux racines puissamment ancrées dans l’histoire, et résolument tourné vers l’avenir grâce à sa politique environnementale éclairée. Parce que oui, cette fontaine équipée de panneaux photovoltaïques, qui fonctionne à l’énergie solaire, incarne aussi un enjeu africain de taille, celui de la préservation de l’eau, cet élément sacré dans la culture arabo-musulmane, et du recours aux énergies renouvelables.

À mi-chemin entre tradition et modernité, cette fontaine n’est pas qu’une fontaine. Elle est le symbole même du Maroc. Celui d’hier, d’aujourd’hui et de demain.

Par Zineb Ibnouzahir
Le 18/02/2024 à 13h29