L’Italie, premier pays de l’UE à organiser «son» sommet africain

Karim Serraj.

ChroniqueL’Italie bouge et s’intéresse de près à la coopération africaine. Rome accueille en conclave plus de cinquante délégations de pays africains pour présenter son nouveau plan stratégique et réévaluer l’approche du pays à l’égard du continent. Aziz Akhannouch y représente le Maroc, dont le rôle sera éminent entre l’Afrique et l’Italie.

Le 28/01/2024 à 11h08

Le chef du gouvernement Aziz Akhannouch est à Rome aujourd’hui dimanche 28 janvier pour représenter, pendant deux jours, Sa Majesté le roi Mohammed VI au sommet Italie-Afrique. C’est une grand-messe économique avec des enjeux européens cachés.

L’Europe sera représentée par Ursula von der Leyen et le président du Conseil européen, Charles Michel. Seront également présents Kristalina Giorgieva, cheffe du FMI, le directeur général de la FAO, Qu Dongyu, et d’autres responsables des principales agences des Nations unies.

Du côté africain, pas moins de 50 délégations de pays ont fait le déplacement sur les 54 que compte le continent. Sont présents plus d’une vingtaine de chefs d’État, parmi lesquels les présidents tunisien et mauritanien.

Vous me direz qu’il n’y a rien d’exceptionnel dans cette actualité, que somme toute l’Italie s’intéresse à l’Afrique comme le font depuis peu d’autres régions et pays du monde, les sommets Russie-Afrique, Arabie saoudite-Afrique, États-Unis-Afrique, Chine-Afrique...

Pas si sûr! Le sommet Italie-Afrique est le premier du genre pour un pays de l’UE. Rome augure une nouvelle approche idéologique, qu’il s’agit de bien comprendre.

Oublions la France. Ses sommets réguliers organisés avec les pays africains tournent autour de thématiques de coopération globales: «l’engagement citoyen, l’entrepreneuriat et l’innovation, l’enseignement supérieur et la recherche, la culture et le sport» (ministère français de l’Europe et des Affaires étrangères). La France a plutôt préféré se retirer depuis quelques années du continent plutôt que d’y tisser sa stratégie économique du 21ème siècle.

Avec cette conférence, le gouvernement italien va présenter son nouveau plan stratégique et réévaluer l’approche du pays à l’égard du continent africain. Cela fait partie désormais des priorités de Giorgia Meloni qui devrait en faire un point central du G7 qu’elle présidera au mois de juin prochain.

Nous sommes à mille années-lumière du discours radical sur l’immigration de la Première ministre italienne en 2022 à son élection. Son parti d’extrême droite, les Frères d’Italie, fait partie d’une coalition qui a fait de l’arrêt de l’immigration un élément clé de son programme.

Rappelons ses propos désobligeants sur les navires des ONG qui secourent les migrants en Méditerranée, et son appel à un blocus naval de l’Afrique du Nord!

De l’eau a coulé sous les ponts, et notre Meloni voit à présent en l’Afrique la future prospérité de l’Europe, le développement des pays africains une urgence, la coopération une évidence. La Première ministre est passée à l’encensement du continent noir.

Concrètement, l’Italie va proposer un ambitieux programme d’investissements axé sur les échanges économiques et des partenariats dans le secteur de l’énergie. Dans l’UE, le pays cherche à se positionner en pole position, à distancier l’Espagne dans sa course en Afrique, le voisin ibérique ayant déjà commencé à nouer des liens forts avec le Maroc, avant d’entamer sa deuxième phase dans le continent, dénommée «Plan Afrique 3» et adoptée par le gouvernement de Pedro Sánchez en 2019.

Pour l’UE, cette approche italienne coïncide avec les objectifs de son propre agenda tels qu’exprimés dans sa «Stratégie globale pour la politique étrangère» où pour la première fois Bruxelles considère l’Afrique comme une opportunité et non pas une source de menaces.

Aziz Akhannouch n’est pas à Rome pour la photo de famille. Il interviendra devant le gratin politique et économique du sommet pour présenter les prérogatives du Royaume. En privé, il rencontrera des acteurs importants du nouveau cap de l’Europe.

En juillet 2023, Nasser Bourita avait fait un déplacement en Italie pour une séance de travail avec son homologue Antonio Tajani, au terme duquel un Plan d’action stratégique multidimensionnel a été signé entre les deux pays. On se souvient que notre ministre des Affaires étrangères avait donné la clef de ce qui est en train de se dérouler à Rome: «L’Italie souhaite travailler en Afrique avec le Maroc, qu’elle considère comme acteur principal dans le pourtour méditerranéen, à la faveur de sa stabilité et des initiatives qu’il entreprend, sur instructions de Sa Majesté le Roi, dans différents domaines», avait-il affirmé à l’époque. Des propos clairs comme de l’eau de roche, décryptés à la lumière du sommet actuel Italie-Afrique.

Tant mieux pour notre Royaume qui récolte les fruits de son grand œuvre africain. L’Italie fer-de-lance de l’UE sait qu’elle doit s’appuyer sur des partenaires fiables, des réseaux financiers crédibles, des diplomaties ancrées durablement et ayant gagné la confiance des pays africains. Seul notre pays, aux branches ballantes en Europe, et aux racines plongées en Afrique, peut aujourd’hui jouer ce rôle de tremplin. Il a aussi l’atout d’être un partenaire privilégié de l’UE qui comptera sur lui pour avancer ses pions dans le Sud.

Par Karim Serraj
Le 28/01/2024 à 11h08