Polémique sur la darija: cafouillage au sein du gouvernement

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Revue de presseKiosque360. La polémique sur l’enseignement de la darija a semé la confusion au sein même du gouvernement. Le ministre de l’Education nationale a été taclé par le chef du gouvernement, qui plaide pour la suppression du dialecte marocain dans le programme scolaire.

Le 10/09/2018 à 21h45

Après avoir défendu l’utilisation de quelques mots en dialecte marocain pour des "raisons pédagogiques", le ministère de l’Education nationale a été surpris par une déclaration du chef du gouvernement, Saâd-Eddine El Othmani, qui laisse présager la suppression de ce programme scolaire. Le tollé général provoqué au sein de l’opinion publique par l’emploi de la darija a fini par semer la confusion au sein même de l’appareil exécutif qui peine à gérer ce dossier d’une très grande sensibilité. Le communiqué du ministère de tutelle indique que la commission chargée de l’évaluation et de l’approbation des livres scolaires ne trouve aucune justification organisationnelle ou éducative qui interdirait l’utilisation de noms de gâteaux et d’habits traditionnels marocains dans un texte de lecture. Ce faisant, le département de tutelle menace de poursuivre en justice tous ceux qui ont publié des photos et des textes truqués ou figurant dans d’anciens manuels, voire piqués dans des livres d’origine étrangère.

Le ministère s’étonne que le texte qui a suscité tant de débats concerne un sujet qui traite de la fête organisée à l’occasion de l’arrivée d’un nouveau-né dans une famille marocaine. Dans pareille occasion, ajoute le communiqué, les membres de la famille portent des habits traditionnels et mangent des repas marocains, comme tous les citoyens de ce pays. Il est normal, donc, poursuit le ministère, que l’on utilise des mots comme "Kaftan, Charbil, Jilbab, Tarbouche et Balgha" ou encore "Baghrir, Briouat et Ghriiba" d’autant plus, ajoute le communiqué "qu’il s’agit de l’emploi de huit mots en darija dans un manuel scolaire qui en compte 8000".

Le quotidien Al Ahdath Al Maghribia rapporte, dans son édition du mardi 11 septembre, que le communiqué du département de tutelle n’a pas mis fin à la vague de moqueries que ce sujet a provoquée au sein de l’opinion publique. Bien plus, la polémique a enflé pour se transformer en débats extrémistes et en sarcasmes tribaux entre partisans et opposants de la darija. Les plus sages estiment que "la montagne a accouché d’une souris" et qu’il ne faut pas s’inquiéter pour l’avenir de l’arabe classique. La propagation du discours populiste sur ce sujet a mis en difficulté les membres du gouvernement, ce qui a fini par pousser certains dirigeants de partis politiques à un rétropédalage.

Saâd-Eddine El Othmani a alors décidé d’intervenir pour contenir l’opposition populaire en faisant des déclarations qui contredisent la version du ministère de l’Education nationale, qui s’est basé sur les avis des spécialistes pour enseigner la darija. Le chef du gouvernement n’y est pas allé avec le dos de la cuillère: "Le dialecte marocain ne peut être utilisé dans l’enseignement parce que premièrement, les langues officielles reconnues par la Constitution sont l’arabe et l’amazigh, et deuxièmement l’article 29 de la loi-cadre régissant cette opération et qui est examinée au Parlement, insiste sur l’obligation de l’usage uniquement de la langue en question, sans aucune autre, et ce pour empêcher l’utilisation du dialecte". Et d’ajouter : "On ne peut pas admettre des expressions, des phrases ou des paragraphes en dialecte marocain dans les manuels".

Le chef de l’Exécutif est allé jusqu’à dire que cette décision est irrévocable en déclarant à la MAP: "En effet, il existe des termes sujets à débat figurant dans certains manuels. Le débat sur cette question doit être mené par les spécialistes pour y trouver des solutions". "Nous n’avons aucun problème à renoncer à ces manuels et à demander au ministère de tutelle de renoncer à ces manuels, si les éducateurs, les linguistes et les commissions concernées estiment que c'est juste et après la consultation du Conseil supérieur de l'éducation, de la formation et de la recherche scientifique", a-t-il ajouté.

La position du chef du gouvernement est considérée par les observateurs comme véhiculant une justification pour calmer les esprits alors que le porte-parole du gouvernement, Mustapha Khalfi, estime qu’il faut remettre dans son contexte aussi bien la déclaration du chef de l’Exécutif que celle du ministre de l’Education nationale. Il faut donc, ajoute le ministre, s’appuyer sur l’avis du conseil du gouvernement consulté aussi bien par Saâd-Eddine El Othmani que par Saïd Amzazi et qui dit: "Après la polémique provoquée autour des nouveaux programmes scolaires qui contiennent des noms de gâteaux marocains (Briouat et Baghrir), il sera procédé à leur révision par des commissions compétentes, et ce suite à l’enregistrement de plusieurs observations et remarques sur ce sujet". Dans la conférence de presse qu’il a donnée à l’issue du conseil du gouvernement, Mustapha Khalfi a déclaré que le gouvernement avait mis l’accent sur la place importante qu’occupent les langues arabe et amazighe dans le système éducatif marocain, en conformité avec la Constitution et la vision 2030 du secteur de l’enseignement.

Il a précisé que la déclaration du chef du gouvernement était basée sur une référence juridique et que le Maroc était en passe de procéder à une réforme totale de l’enseignement, fondée sur la vision élaborée par le conseil supérieur de l’enseignement selon une stratégie ambitieuse qui s’étale jusqu’à 2030. Khalfi essaye ainsi d’atténuer la polémique qui a marqué la rentrée scolaire, tout en faisant une comparaison avec ce qui s’est passé l’année dernière concernant l’enseignement de la philosophie et de l’éducation islamique. Et de conclure que le renvoi de la programmation de la darija à des commissions compétentes est d’abord un respect des compétences et un moyen d’atténuer la tension provoquée par ce sujet.

Le quotidien Al Akhbar donne une autre version, dans son édition du mardi 11 septembre, du télescopage entre le ministre de l’Education nationale et le chef du gouvernement. Il considère que Saâd-Eddine El Othmani a saisi l’occasion des débats houleux sur la darija pour régler ses comptes avec le responsable du département de tutelle, Saïd Amzazi. Ce dernier aurait mis des bâtons dans les roues du secrétaire d’Etat chargé de l’enseignement supérieur, Khalid Samadi, qui est un dirigeant du PJD. Selon certaines sources, la sortie médiatique contre Amzazi aurait provoqué l’ire de Mohand Laenser, le secrétaire général du MP, qui a contacté le chef du gouvernement pour dénoncer cette façon d’éluder sa responsabilité pour mettre dans l’embarras un ministre de son gouvernement, devant l’opinion publique. Selon les mêmes sources, Saâd-Eddine El Othmani aurait subi des pressions de la part du secrétariat général de son parti qui lui a demandé d’exprimer sa position sur l’enseignement de la darija sans tenir compte de l’esprit de solidarité qu’exige la coalition gouvernementale.

Par Samir Hilmi
Le 10/09/2018 à 21h45