Il a remis la religion à sa place!

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Ou on est libre, ou on ne l’est pas. Ce n’est pas la religion mais l’humanisme qui encadre la liberté. Une religion, en soi, qui est une liberté vers laquelle on peut aller ou ne pas aller.

Le 31/03/2018 à 19h38

Abou Hafs est un type épatant. Je ne le connais pas du tout. J’ai simplement suivi, guetté, traqué ses faits et gestes depuis presque vingt ans. Je trouve sa trajectoire épatante.

Il y a vingt ans, donc, il était la terreur de Fès, son «caïd», il émettait des fatwas incendiaires qui trahissaient une vision binaire et très réductrice du monde. Avec lui, c’était du tout noir ou du tout blanc. Il y avait d’un côté l’islam ritualisé de la manière la plus orthodoxe, en mode sunnite, et qu’il fallait suivre à la lettre. Avec application de la charia et tout le toutim.

Alors tu t’alignes mon frère, et sur tous les points de détail, ou on t’excommunie et on te jette déjà dans les flammes de l’enfer.

Bref, Abou Hafs prônait un islam qui fait peur et froid dans le dos. Un islam resté coincé dans les filets et les dogmes du moyen âge. Une fois, en 2002, j’ai assisté (via un enregistrement audiovisuel) à l’un de ses prêches et j’ai tremblé de peur et, comment dire, d’effroi. Oui, d’effroi, tellement Abou Hafs semblait sûr de lui et tellement ses mots étaient sentencieux, terribles, violents.

De tous les leaders de la salafiya, que l’on a appris à connaitre surtout à l’orée des années 2000 (avec les guerres d’Afghanistan), Abou Hafs est peut-être le seul à être retourné sur ses pas. Un jour, alors qu’il était en prison (il y restera près de dix ans), il a effectué sa mourajaa datiya (autocritique).

Et il a fait ce chemin particulier qui conduit de dieu à l’homme. Abou Hafs s’est dépollué l’esprit. Il a eu ce courage-là. Aujourd’hui il n’est plus salafiste mais humaniste. Il croit toujours en dieu. Mais il croit aussi aux sciences humaines et sociales, à la culture, aux libertés individuelles. Il a remis la religion «à sa place», qui n’est pas plus importante que celle de la science ou de la culture.

Notre homme s’est ouvert sur tout cela parce qu’il a lu des livres. Il a découvert la sociologie, la philosophie, l’art, et toute cette littérature extraordinaire qu’il ne connaissait pas. Il la condamnait les yeux fermés. 

Sauvé par la lecture et par la culture, en quelque sorte…

J’ai vu cet homme récemment, dans un débat contradictoire organisé par la dynamique association Racines. Il a tenu un discours progressiste sur la question de la liberté (d’expression, de croyance, de culte), démontant un à un les arguments de son contradicteur, le «cheikh» Abdessamad Merdas.

Ou on est libre, ou on ne l’est pas. Ce n’est pas la religion mais l’humanisme qui encadre la liberté. Une religion, en soi, qui est une liberté vers laquelle on peut aller ou ne pas aller.

De tous les salafistes «repentis», cet homme est le seul à avoir réellement sorti la tête de l’eau. La lecture l’a sauvé d’un chemin de croix : à 16 ans, déjà, il était parti au «front» en Afghanistan (l’équivalent, dans les années 1990, de la Syrie d’aujourd’hui). Il est retourné de cet enfer et de cette voie qui semblait déjà tracée parce qu’il y a un «accident»: la lecture.

Des milliers d’enfants et d’adolescents suivent aujourd’hui le chemin initial du jeune Abou Hafs: embrigadés, endoctrinés et l’esprit entièrement «scellé» dès le berceau. Il faut espérer qu’un jour ils sortent à leur tour la tête de l’eau. Un livre, une rencontre heureuse, et le miracle aura lieu. Amen.

Par Karim Boukhari
Le 31/03/2018 à 19h38