Maha Marouan : «Il vaut mieux soutenir une réforme ciblée du Code de la famille pour répondre aux situations les plus urgentes»

Maha Marouan, professeure des études féministes, genres et sexualité à l'Université Penn State, en Pennsylvanie, aux États-Unis.

Selon Maha Marouan, professeure des études féministes, genres et sexualité à l’Université Penn State, en Pennsylvanie, aux États-Unis, un ancrage plus humaniste des revendications féministes permettrait d’établir une relation de confiance entre les féministes et ceux qui s’en méfient sans raison. La question féministe, défend-elle, s’inspire d’un souffle égalitaire et elle transcende toutes les polémiques.

Le 26/03/2024 à 13h00

Enseignante universitaire et militante féministe, Maha Marouan se penche sur l’intersection de la race, du genre et de la religion dans la construction des subjectivités féminines. Elle est née et a grandi au Maroc, et a passé la majeure partie de sa vie en Europe et aux États-Unis. Dans un entretien avec Le360, elle livre une réflexion sur la mobilisation féministe au Maroc dans le contexte de la réforme du Code de la famille.

Le360: Comment suivez-vous, en tant que femme marocaine vivant à l’étranger, la dynamique du débat public autour de la réforme du Code de la famille?

Maha Marouan: Nous, femmes de la diaspora marocaine, suivons avec beaucoup d’intérêt la nouvelle réforme de la Moudawana en cours de préparation, parce qu’elle affectera sans doute le noyau de la famille marocaine, qui est étroitement lié au pays d’origine. À titre personnel, je soutiens vivement les propositions des organisations féministes et de défense des droits humains. Je pense que la mise en place de ce chantier de réforme serait opportune pour aligner le dispositif de la Moudawana aux législations internationales ratifiées par le Maroc. J’espère que le Maroc fasse le pari de la consolidation du plan symbolique des droits humains dans le futur code.

Les mères marocaines, résidant à l’étranger, peuvent désormais établir un passeport au profit de leurs enfants mineurs sans l’accord préalable du père. Comment lisez-vous cette décision?

J’ai été informée, dès le début, de cette décision via un communiqué qui m’a été envoyé par le consulat du Maroc à New York. À première vue, il s’agit d’une solution partielle concernant la question de la tutelle de l’enfant. Elle est, à cet égard, de bon augure pour la progression des délibérations autour de cette question, mais il faut rappeler qu’elle ne saurait, à elle seule, suffire à appréhender les multiples enjeux qui en relèvent (inscription scolaire, le choix de soins médicaux, etc.)

«Le tissu féministe doit rappeler que le principe d’égalité entre hommes et femmes est consacré dans la constitution marocaine.»

—  Maha Marouan, professeure des études féministes, genres et sexualité à l’Université Penn State, aux États-Unis.

Quel regard portez-vous sur la mobilisation du tissu associatif féministe dans cette conjoncture décisive? Était-il à la hauteur des attentes des femmes aspirant au changement?

Je suis satisfaite de l’implication dont font preuve nos jeunes activistes. Au Maroc, il existe un brassage intergénérationnel des plaidoiries féministes. J’accompagne avec attention les initiatives des jeunes activistes féministes à propos des amendements attendus au Code de la famille. Il me semble cependant qu’un ancrage plus humaniste et moins polémique insufflerait un élan positif à la mobilisation pour les droits des femmes.

Le tissu féministe doit rappeler que le principe d’égalité entre hommes et femmes est consacré dans la constitution marocaine, et qu’il représente un déterminant de la croissance économique des pays. À cela s’ajoute la nécessité d’accroitre la visibilité des revendications féministes sur la Toile.

Pensez-vous qu’une refonte globale de la Moudawana est possible? Favorisez-vous un changement radical ou des réformes ciblées?

Je ne vous cache pas que, en tant que féministe marocaine, je nourris un idéal de changement radical en matière des droits des femmes. Mais en tâtant le terrain, il s’avère évident qu’il vaut mieux soutenir une stratégie de réforme ciblée pour répondre aux situations les plus urgentes.

«Il n’est pas étonnant que le PJD se serve du débat sur la réforme du Code de la famille pour brosser un tableau embrouillé de la lutte féministe au Maroc.»

—  Maha Marouan, professeure des études féministes, genres et sexualité à l’Université Penn State, aux États-Unis.

Il me paraît, à titre d’exemple, que la conjoncture actuelle favorise un coup d’arrêt définitif aux mariages des mineurs. Un remaniement des dispositions relatives au droit successoral, qui déboucherait sur la suppression de la règle du Taàssib, serait également utile à la cause des femmes.

Comment percevez-vous les positions rigides du Parti justice et développement (PJD) sur la réforme du Code de la famille? Son secrétaire général Abdelilah Benkirane a même déclaré ne pas exclure l’organisation d’une marche nationale pour défendre ses positions…

J’ai toujours été déçue par le positionnement du PJD à l’égard de la question de l’égalité entre hommes et femmes. Dans l’ensemble, le discours de l’islam politique vise à stigmatiser toute tentative de mise en perspective des droits des femmes.

L’appel de Sa Majesté le roi Mohamed VI à un engagement consultatif des différents camps politiques était une occasion pour sensibiliser l’opinion publique aux enjeux de cette réforme tant attendue. Et face à la tournure que prend actuellement le PJD sur l’échiquier politique, il n’est pas étonnant qu’il s’en serve pour brosser un tableau embrouillé de la lutte féministe au Maroc. Cela dit, le fait de mobiliser ses fidèles pour une marche millionnaire témoigne d’une irresponsabilité politique.

Par Anas Moujrid
Le 26/03/2024 à 13h00