Quand Air France Maroc fait du zèle

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Zineb El Rhazoui, journaliste à Charlie Hebdo, nous livre le témoignage d’une mésaventure qu’elle vient de vivre avec un agent commercial d’Air France à l’aéroport Mohammed V de Casablanca.

Le 24/11/2014 à 17h58

Vous êtes citoyen français ? Ne vous étonnez pas si Air France en doute. Voici mon histoire de Française de seconde zone avec la compagnie aérienne, ou comment Air France exige un visa d’entrée en France à des ressortissants français, somme toute douteux à ses yeux.

Dimanche 23 novembre 2014 à 16h, mon séjour au Maroc s’achève sur une note absurde. Lundi matin, la semaine démarre sur les chapeaux de roues, je dois être à ma rédaction dès 10h pour le bouclage du prochain numéro de Charlie Hebdo. Je cours vers l’agence Air France de l’aéroport Mohammed V à Casablanca, pourvu qu’ils aient encore des places pour le vol de 18h20. Tout va bien, l’avion n’est pas complet, j’improvise une date de retour en décembre et m’apprête à acheter mon billet et à embrasser mon mari. « Cela vous fera 3400 Dh », m’annonce le commercial. Ok, j’achète. « Vos pièces d’identité », me demande-t-il. Je lui tends mon passeport vert, et ma carte d’identité française. A chaque fois que je rentre au Maroc, j’utilise mon passeport marocain. «Ressortez toujours avec le passeport que vous avez utilisé pour entrer », me martèle sans cesse la police aux frontières marocaine. Une fois en France, je montre ma carte d’identité française, document suffisant à n’importe quel policier de l’espace européen pour me laisser circuler. Mais Air France ne l’entend pas de cette oreille.

Le dialogue qui suit n’est pas le fruit de mon imagination, c’est bien l’échange qui a eu lieu avec le représentant de la compagnie aérienne. Mon mari et quelques badauds en sont témoins.- «Vous avez un visa ?»

- «Je n’ai pas besoin de visa, je suis française, voici ma carte d’identité»

- «Pourquoi n’avez-vous pas de passeport français ?»

- «J’en ai bien un, mais il a expiré le mois dernier (je le lui montre), et de toute façon ma carte d’identité française suffit pour entrer en France»

- «Mais si votre passeport est périmé, vous ne pouvez pas voyager»

- «Mais mon passeport marocain est toujours valide, et je suis bien obligée de ressortir avec, de toute façon, puisque c’est celui que j’ai utilisé pour entrer dans le territoire marocain. Et pour la troisième fois, je vous répète que ma carte d’identité française suffit pour entrer en France»

- «Non Madame, si vous avez un passeport vert, il vous faut un visa»

- «Quand bien même j’aurais demandé un visa, c’est impossible qu’on me le délivre, puisque je suis française, vous avez ma carte d’identité en cours de validité sous les yeux, pourquoi voulez-vous que je sois munie d’un visa?»

Voyant mon exaspération, mon mari s’en mêle:- «Cela fait longtemps que vous faites ce métier?»

- «Oui, cela fait 17 ans Monsieur»

- «Et bien renseignez-vous, car vous faites erreur»

Le commercial prend son téléphone et appelle le chef d’escale Air France. Avant de raccrocher, il nous fait déjà non avec la tête, fier d’entendre à l’autre bout du fil la confirmation qu’il a bel et bien raison. Je demande à voir le chef d’escale en question, mon interlocuteur me répond qu’il passerait éventuellement plus tard, sans préciser quand, et que cela ne changerait rien à mon cas, puisque la compagnie refuse de me vendre un billet. J’ai beau préciser que je suis cliente du programme de fidélité Air France (titulaire de la carte FlyingBlue), que j’emprunte un vol Paris-Casa en moyenne une fois par mois, toujours à bord d’Air France, l’employé n’en démord pas: il me faut un visa! Il ajoute d’ailleurs, non sans assurance, que son chef d’escale est un éminent spécialiste du module «documents de voyage», dont il assure la formation auprès du personnel Air France au Maroc. Lasse, je traine mes guêtres de Harraga* jusqu’à l’agence Royal Air Maroc où le personnel, coi, me vend un billet pour le vol suivant, celui du lundi matin, puisque les vols du dimanche soir sont clôturés. Le personnel de la RAM, stupéfait d’entendre ma mésaventure, prend la peine de vérifier auprès de 5 autorités différentes, «On ne sait jamais, si Air France le dit…». L’enquête est formelle, rien n’interdit de vendre un billet à un passager muni d’un passeport vert et d’une carte d’identité française. Une fois mon billet en poche, je retourne voir le vendeur Air France et demande à voir le chef d’escale.- «Vous n’avez qu’à le chercher», me répond-il.

- «Quel professionnalisme!»

- «De toute façon, j’aurais pu vous dire que le vol était complet!»

- «Comment s’appelle-t-il?», demandai-je.

- «On ne donne pas les noms».

Je fais quelques mètres et demande au premier agent que je croise. «Ah, c’est Monsieur untel!», me renseigne-t-il. En attendant mon vol de demain, je gribouille cette réclamation comme une bouteille jetée à la mer, avant de rédiger un mail plus circonstancié à mon directeur de rédaction pour lui expliquer pourquoi je ne serai pas à l’heure demain. Merci Air France.

Par Zineb El Rhazoui
Le 24/11/2014 à 17h58