Benkirane 1 – PJD 0

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ChroniqueEn faisant de leur leader un «zaïm», les islamistes marocains sont peut-être en train d’affaiblir leur parti.

Le 04/06/2016 à 17h00

Le week-end dernier a été marqué par un petit événement politique. Petit parce que peu y ont prêté attention. Ils ont eu tort. Le PJD, premier parti politique au Maroc, a tenu un congrès extraordinaire. Ce congrès aurait dû être ordinaire et aurait dû aboutir à l’élection d’un nouveau secrétaire général en remplacement d’Abdelilah Benkirane. Il n’en a rien été. Les islamistes ont décidé, tout simplement, de reporter la tenue d’un congrès ordinaire… après les élections législatives d’octobre prochain. Pourquoi? Pour donner à Benkirane toutes les chances de rester Chef du gouvernement si, comme tout le monde le pense, le PJD remporte les prochaines élections.

Ce que vient de faire le PJD nous rappelle une pratique courante au Maroc. Elle consiste à jouer avec les statuts et règlements internes pour maintenir un leader en poste. Le leader devient zaïm. Et le zaïm, à un moment donné, se confond avec son parti et son peuple.

La sociologie politique au Maroc n’a connu, pratiquement, que des modèles comme celui-là. Nous n’avons pas une grande tradition de partis, c'est-à-dire d’idées fortes. Nous avons plutôt une tradition de «zouama», c'est-à-dire de tribuns et presque de mages.

Benkirane est en train de rejoindre cette tradition. C’est tant mieux pour lui mais c’est dommage pour son parti.

En octobre prochain, les électeurs devront, grosso modo, se prononcer entre voter pour ou contre Benkirane. En d’autres termes, Benkirane incarnera non seulement son parti mais aussi un certain mode de gouvernance, fait d’une très grande activité oratoire et d’une promesse de «maakoul».

Nous en sommes là. C’est une situation qui renforce la stature de l’homme, mais de l’homme seulement. Pas son parti. La situation renforce aussi l’identification des électeurs à des têtes et des hommes, plutôt qu’à des idées et des programmes.

Le PJD, né dans des conditions particulières, reste un parti jeune. Un parti très bien parti. Sa popularité continue de croître mais, surtout, son mode de fonctionnement était un modèle. En gros, le parti le plus à droite et le plus traditionnel du pays renvoyait, quand on examine ses structures et son appareil interne, une image résolument moderne. C’est cette image qui est aujourd’hui mise à mal puisque le parti vient de céder, à son tour, à la tentation de «zaimisation». Il avait résisté à la tentation avec son ancien numéro un, Saadeddine El Othmani. Mais il vient de craquer avec celui que ses adversaires appellent le bulldozer.

Dans le champ politique marocain, peu de partis ont résisté au passage d’un zaïm fort. Tant qu’il est là, le parti se cache derrière l’homme au point que les deux se confondent. Mais quand il n’est plus là, le parti s’effondre et perd beaucoup de temps et d’énergie à essayer de se recomposer.

Nous avons vu cela avec les Allal El Fassi, les deux Bouabid (Abderrahim et Maati), et tant d’autres.

La figure du zaïm et du père a toujours consacré deux idées contradictoires: la puissance d’un homme, mais aussi la faiblesse de son parti. Le PJD espère être l’exception qui confirme la règle, là où il aurait pu tourner la page Benkirane et jouer à fond la carte du parti.

Par Karim Boukhari
Le 04/06/2016 à 17h00