Ces élus et ces partis qui ne pensent rien

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ChroniqueSont-ils capables de produire des idées, des projets, des propositions concrètes, au lieu de répéter à l’unisson «nous sommes tous derrière sa majesté», et d’utiliser à tout-va des expressions comme «cause nationale», «valeurs sacrées», «tradition et modernité» ou «exception marocaine»?

Le 06/03/2021 à 09h00

Il faut rappeler que 2021 est une année électorale. Beaucoup ne le savent peut-être pas, ou s’en foutent, pour dire les choses comme elles sont. Comment leur en vouloir puisque les partis politiques discutent de tout (quotient et seuil électoral, découpage, parité, blabla) sauf de l’essentiel: les idées.

Elles sont où les idées? Il est où le débat?

En dehors du PJD, qui a une identité claire et reconnaissable entre mille, comment identifier les autres «boutiques», comment savoir qui défend quoi? Quelles sont leurs positions exactes sur les faits de société qui polarisent l’attention (comme l’avortement, le sexe hors-mariage), sur les réformes économiques et politiques, etc.? Ont-ils quelque chose à dire sur des questions-clés comme la liberté de croyance et celle de culte, sur la dépénalisation de l’homosexualité et du haschich, sur l’abolition pure et simple de la polygamie et du mariage des mineurs? Sont-ils capables de produire des idées, des projets, des propositions concrètes, au lieu de répéter à l’unisson «nous sommes tous derrière sa majesté», et d’utiliser à tout-va des expressions comme «cause nationale», «valeurs sacrées», «tradition et modernité» ou «exception marocaine»? 

Certains partis ont encore la chance de posséder des journaux, dont la diffusion est certes confidentielle, pour faire passer leur discours. Les autres n’ont rien et ne produisent rien, même leurs sites ne renvoient pas à grand-chose.

J’ai longtemps «servi» dans un journal partisan, auquel je dois quelques souvenirs émus ou amusés, en plus de quelques solides amitiés. Pour ce qui est du reste…

L’un des débats récurrents était de savoir s’il fallait monter la photo de tel ou tel cadre du parti sur deux colonnes ou trois, avec son nom en gras ou en lettres capitales, pour ne pas froisser son ego. On fait quoi, les amis? Impasse existentielle. Parfois, un zaïm s’insurgeait parce que l’autre zaïm avait droit à trois actualités sur le dernier mois, et lui à seulement deux (oui, il passe son temps à faire le compte).

Ces journaux ont formé des militants sincères et dévoués. Mais ils se sont transformés, peu ou prou, en petites agences de propagande dignes de l’ère soviétique. En médecine, il y a un adjectif qui résume parfaitement leur situation: ankylosés! Si la diffusion de toutes ces publications est en baisse constante, voire en chute sans fin, c’est surtout parce qu’elles ont été vidées de tout esprit critique et que la production des débats et des idées les a désertées. 

Les idées et les débats ont été délocalisés vers d’autres terrains. Dans les réseaux sociaux par exemple. On y crie beaucoup, on s’insulte, on ne s’entend pas vraiment mais, au moins, on lâche les chevaux. On dit ce qu’on pense. Sans frein et sans chercher le consensus.

C’est justement le consensus qui a tué la classe politique, et qui a tué aussi ses journaux. Le consensus tue les idées. Il tue le courage. Il tue la différence. Le consensus, ça veut dire attendre, attendre, et ensuite faire comme les autres.

Il y a quelque chose d’essentiel qui s’appelle «le moment politique», mais qui échappe à la majorité des élus. Le «moment», ça veut dire sortir du troupeau, du bois, monter au front, oser. Qui peut encore le faire, qui peut se saisir de ce «moment politique» ou le créer, en dehors d’un parti à l’idéologie passéiste et de quelques élus qui se comptent sur les doigts d’une seule main? 

Par Karim Boukhari
Le 06/03/2021 à 09h00