Chkoun ntina?

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ChroniqueQuand un hôtelier me demande «Chkoun ntina?», je repense au regretté Khalid Jamaï et à son célèbre «Chkoun nta?».

Le 19/06/2021 à 09h00

Ce qui est exceptionnel à Fès, c’est la passion avec laquelle les Fassis parlent de leur ville. Ils sont fiers. Fès est le centre de leur monde, et même du monde. Ils l’aiment comme leur propre mère. Avec beaucoup de bienveillance, en appuyant les qualités et en effaçant les tares. Une mère parfaite, complètement imaginaire. 

Les Fassis rappellent les Egyptiens, dans cette charmante manie de toujours convoquer l’histoire, les origines (al-Oussoul). Ils ont cette façon inimitable de vous coiffer du regard, en vous disant: «Nous sommes les vrais, les purs, les authentiques».

Fès a fait le Maroc. Plus que Marrakech, plus que les montagnes et le désert. Fès est le Maroc. Ils vous assènent cela avec leur accent chantant, censé traduire une éducation raffinée. Et l’accent change tout, même les mots prennent d’autres couleurs, de nouvelles saveurs…

Il faut être né heureux pour laisser trainer les mots, avec l’air de les enduire de miel. Ahl Fas, comme on les appelait, s’appuient sur cet accent roucoulant pour parler, encore et encore, de Moulay Idriss, père et fils, et de leur baraka. Ils parlent d’Al-Andalus comme si les Arabes venaient de la quitter la semaine dernière. 

Quand j’ai dit au guide que le tombeau d’Idriss II au cœur de Fès el-Bali ne renfermait peut-être pas son corps, j’ai mesuré combien le sujet reste sensible. Je suis au bord du sacrilège. Le guide m’a envoyé un smash dans la figure: «Il ne faut pas confondre l’histoire de la science et celle de la foi!».

Ce n’est pas parce que le corps du saint homme était recouvert de sang au moment de sa découverte, plusieurs siècles après sa mort, que ce n’est pas lui. La foi dit que c’est son corps, alors c’est son corps. Et la foi, on l’a ou on ne l’a pas. Quant à la science...

L’autre sujet sensible reste Meknech, pardon Meknès, la cité voisine isamaïlienne, dont Fès ne supporte ni le «cousinage» ni la concurrence. C’est le genre de sujet qu’il convient d’éviter soigneusement pour ne pas froisser les personnes qui se plient en quatre pour vous servir. Et ils sont nombreux à le faire, avec un mélange de politesse et de délicatesse (le Swab fassi, unique au Maroc).

J’ai dérivé dans les vieilles rues et les vieilles histoires. Mon vaccin chinois m’a ouvert les yeux sur les vertus du tourisme local. Le Maroc est beau quand on est en bonne compagnie, mais le service reste moyen et les prix prohibitifs. Ou sélectifs, cela ne change rien, la rime est suave.

A Fès aussi, on ne parle que du roi. Cela tombe bien, il est là. On le sait parce que les policiers sont à tous les coins de rue. On le sait surtout parce que la ville est propre, les fontaines remarchent comme par miracle, les jardins sont bien taillés.

Quand un hôtelier me demande «Chkoun ntina?», je repense au regretté Khalid Jamaï et à son célèbre «Chkoun nta?». Il aurait ri s’il était encore parmi nous. Les Fassis sont beaux dans leurs habits, dans leur accent. Et dans l’amour extraordinaire qu’ils portent à leur ville. La plus belle au monde, bien entendu.

Par Karim Boukhari
Le 19/06/2021 à 09h00