Cruyff, Allah y rahmo !

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ChroniqueJe vais vous raconter une toute petite histoire, mais qui résume bien l’évolution des mentalités dans le plus beau pays du monde.

Le 26/03/2016 à 18h19

Une radio marocaine a choisi hier de rendre hommage à Johan Cruyff, merveilleux joueur de football dont la planète entière pleure la disparition. Une très belle initiative. Tout au long de l’émission (Culture foot, sur Radio Mars), l’animateur Hamid Rouissi et ses invités, tous très émus, n’ont pas cessé d’employer la formule «Allah Y Rahmo» (Dieu ait son âme) pour le regretté Johan. Chose incroyable : des auditeurs se sont alors emparés de leurs téléphones pour envoyer… des messages de protestations à Hamid et à son équipe.

Pourquoi diable est-ce que des auditeurs marocains protestent contre un hommage rendu au plus grand, au plus merveilleux des footballeurs ? Eh bien parce que, selon eux, Cruyff «ne mérite pas la formule Allah Y Rahmo, il n’en est pas digne parce qu’il n’est pas musulman». Et parce que, plus généralement, «on ne prie pas pour des non musulmans».

Vous pouvez imaginer la détresse de l’animateur et de ses invités, dont certains étaient des non musulmans. Vous pouvez aussi imaginer la colère des milliers d’auditeurs, fans de Johan ou pas, musulmans ou non musulmans, croyants ou pas, surpris et révoltés par tant de haine et tant de bêtise déclamées, encore une fois, au nom de l’Islam.

Sinon, cette histoire ne vous rappelle rien ? Mais si, voyons. A Bruxelles, en milieu de semaine, un conseil de théologiens a refusé de réciter une prière dédiée aux victimes des attentats du 22 mars. Pourquoi donc ? Parce que toutes les victimes ne sont pas musulmanes et que seuls les musulmans ont droit à la prière du mort. Tout simplement !

La manière la plus confortable d’aborder ces deux mauvaises histoires (j’allais dire «ces deux mauvaises blagues») consiste à garder son calme et à mettre ses nerfs et ses émotions au frigo. Cela s’appelle relativiser. Alors relativisons. Ces faits sont bien sûr isolés. Ils sont révoltants mais ils n’engagent que leurs auteurs. Il ne faut pas en exagérer la portée. Il n’y a aucun lien entre les auditeurs anonymes de la radio marocaine et les théologiens de Bruxelles. A Casablanca et à Bruxelles, c’est la bêtise qui s’est exprimée. Mais c’est un accident, un hasard, rien de plus. La bêtise n’est pas l’apanage des musulmans. Merci et au revoir.

Cette attitude qui consiste à fermer les yeux est défendable. Pourquoi ouvrir les yeux quand il n’y a rien à voir ? Et puis, c’est bien Shakespeare qui disait : «Autant fermer les yeux que de regarder la nuit».

Le problème, c’est que tant qu’on ferme les yeux, on ne verra jamais le jour. A terme, on devient aveugle. Et il faut être aveugle pour ne pas voir qu’à Casablanca ou Bruxelles, le problème est le même. Il renvoie à une certaine idée de l’islam telle qu’elle nous a été transmise par d’autres générations. Une idée étroite et mauvaise. Une idée fausse. Qui ouvre le paradis aux musulmans et promet l’enfer aux autres.

« Les musulmans ont droit à tout, les non musulmans ne méritent rien ». Cette idée se transmet de père en fils. Elle figure en substance dans nos manuels scolaires. Elle est proférée par nos éducateurs et nos imams.

C’est cette idée qui a motivé les auditeurs de Radio Mars et les théologiens de Bruxelles. Y a-t-il des musulmans pour la combattre?

Par Karim Boukhari
Le 26/03/2016 à 18h19