Ils ont le barrage, ils n’ont pas l’eau!

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ChroniqueIls ont le barrage et ils n’ont pas l’eau. C’est extraordinaire.

Le 22/08/2020 à 09h04

Je vais vous parler d’une commune rurale et de certaines questions liées au développement durable, et au développement humain tout court…

Nous sommes à Ouirgane, magnifique vallée verdoyante nichée entre les montagnes du Haouz, à moins d’une heure de route de Marrakech. Pour s’y rendre, au bout de plusieurs kilomètres de route escarpée, il faut avoir les nerfs solides et être équipé de GPS. Pourquoi donc? Parce que, depuis le départ de Marrakech et jusqu’à l’entrée de la vallée, aucune pancarte, aucune borne kilométrique, aucune signalétique, n’annonce la région.

Avant d’atterrir à Ouirgane, vous avalez les kilomètres en vous demandant si vous vous êtes trompé d’itinéraire, ou si votre GPS vous a joué un tour. Mais Ouirgane est là, heureusement, avec ses douars éparpillés entre le pied et le flanc de la montagne, ses auberges et ses maisons d’hôtes à l’ambiance chaleureuse, son vieux pont sous lequel l’eau ne passe plus, et surtout son magnifique barrage Yacoub El Mansour, qui alimente en eau la région de Marrakech–Safi.

En face du barrage, donc, les douars et leurs habitants ne sont pas tous alimentés en eau potable. La plupart font appel au système D pour boire de cette eau qui s’offre pourtant à leurs yeux, à perte de vue. Ici, on parle encore de puits, de séguia et de «tiyouwates» (tuyaux de canalisation traditionnelle), certains envoient leurs gosses remplir «l’bidounates» (bidons d’eau).

Ils ont le barrage et ils n’ont pas l’eau. C’est extraordinaire.

Un petit mot sur les «skouilates» (écoles) de Ouirgane. La vallée possède une école primaire dite principale et une auxiliaire. Et un collège. Tout cela est bien sûr largement insuffisant pour accueillir les jeunes de la région. Certains, donc, ne vont pas à l’école. Ceux qui ont la malchance d’habiter dans les douars sur le flanc ou au sommet de la montagne, doivent faire près d’une heure de marche, sur des sentiers extrêmement dangereux. Vous imaginez une fillette de 7 ans escaladant ou descendant la montagne quatre fois par jour pour aller à l’école, même les jours de pluie, de froid glaçant ou de chaleur insupportable…

Il existe pourtant un bus de transport scolaire…mais il est la plupart du temps vide. Pour deux raisons. La première, c’est qu’il n’est pas gratuit et la plupart n’ont pas de quoi le payer. La deuxième, c’est que, étant donné la quasi-inexistence de routes praticables, le bus met un temps fou pour parcourir de petites distances.

Nous avons donc des écoles insuffisantes en nombre, et un bus qui ne sert pratiquement à rien. Vous imaginez?

Ce problème s’ajoute à celui de l’eau et à bien d’autres, qu’il serait fastidieux d’énumérer ici. Les habitants improvisent, aidés ici et à là par de petites associations aux moyens limités et quelques particuliers. La sensation de gâchis est pourtant si forte que l’on se demande si tout ce petit monde n’est pas résigné, s’il n’a pas déjà lâché l’affaire, malgré les sourires et les formules de «Hamdoulillah» qui animent toutes les conversations.

Bon courage aux Ouirganais et aux Ouirganaises, qui ne doivent compter que sur eux-mêmes pour essayer de restaurer ce petit bout de Maroc oublié.

Par Karim Boukhari
Le 22/08/2020 à 09h04