J’aurais voulu être un binational…

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ChroniqueLoin des discours (sur la loyauté, sur ci ou ça), il y a mille situations au quotidien où, juste pour des questions pratiques, je regrette de ne pas être un binational.

Le 12/09/2020 à 08h58

Je suis un Marocain moyen, j’appartiens à ce que les publicitaires appellent la catégorie B, la classe moyenne aspirant à plus. Je gagne bien ma vie sans être riche. J’ai connu le Msid (école coranique), l’école publique et le privé. Arabophone et francophone. J’ai les deux cultures. Je comprends les uns et les autres, la rue, les quartiers chauds, et les salons.

Je pratique les langues étrangères: anglais et «sbagnola» muy bien. Je sais négocier quand il s’agit de traiter affaire ou d’acheter un kilo de tomates. Je fais mes prières de temps en temps, généralement dans les grandes occasions: fêtes religieuses, deuil familial, difficultés personnelles. Je ne suis ni de droite, ni de gauche. Ni conservateur, ni moderniste. Je présente bien. Il m’arrive de boire, de fumer et de ne pas jeuner.

Je suis fier de ma marocanité, de ma culture, mais…

Quand je voyage avec ma femme, mon amie ou une parente quelconque, on me demande à tous les hôtels: «C’est qui elle? Acte de mariage siouplait!». Même avec le fameux «acte», on demande à vérifier l’adresse marquée sur nos CIN et on fait la moue: «Si vous êtes mariés, monsieur, pourquoi n’habitez-vous pas la même ville, la même adresse, hein?».

Avant d’être marié, j’ai connu une Française. Vous savez comment on a rompu? Nous étions en voyage dans le Sud marocain, nous avions réservé deux chambres d’hôtel (pour éviter le piège de «l’acte»), et la dernière nuit la police nous a réveillés: «Vous n’avez pas le droit de coucher ensemble, ni de dormir dans la même chambre, parce que vous n’êtes pas mariés». On l’a laissée repartir parce qu’elle était Française, et on m’a emmené au poste parce que j’étais Marocain. Ça vous tue un couple!

Quand je dîne au restaurant, et que je demande un verre de vin, on me demande: «Désolé monsieur, on est la veille de l’Aïd, on ne sert pas l’alcool aux Marocains?». Autour de moi, des Marocains comme moi dégustent leur vin sans être inquiétés parce qu’ils ont le passeport bleu, rouge ou de n’importe quelle autre couleur que le vert.

Quand je fais la queue au passage des frontières et que je risque de rater mon avion parce qu'il y a trop de voyageurs, je vois à droite, de l’autre côté de la barrière, une queue filiforme, qui avance vite, sans bousculade, où personne n’est obligé de râler ni de prendre la place de personne: la queue réservée aux passagers non marocains.

Quand je veux inscrire mes enfants dans les meilleures écoles européennes ou américaines, je suis automatiquement placé sur liste d’attente: priorité aux détenteurs de nationalités européennes et américaine.

Loin des discours (sur la loyauté, sur ci ou ça), il y a mille situations au quotidien où, juste pour des questions pratiques, je regrette de ne pas être un binational. Je le regrette profondément. Parce que je le paie très cher, vous pouvez me croire.

Par Karim Boukhari
Le 12/09/2020 à 08h58