Merci Tanger

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ChroniqueC’était un acteur, Khalid Beckoury, je ne l’ai pas reconnu. Ce texte lui est dédié.

Le 08/03/2020 à 09h00

J'écris ici ce que je n'ai pas pu ou su dire autour de moi depuis que je suis à Tanger. Je suis venu avec mes complices, comme une bande, pour présenter mon court métrage “Aziya”, en compétition officielle au festival national du film (FNF).

Mais je n'ai fait que tourner dans les rues de cette ville à l'air si vif. Et on m’a plus parlé de coronavirus que de cinéma.

Dans le train, déjà, une vieille femme a manqué de devenir folle parce que, à quelques mètres d'elle, se tenait une voyageuse asiatique. Elle est Chinoise, elle est Chinoise ("Chinewiya"), lance la vieille femme en retroussant sa djellaba autour du visage, pour se cacher le nez.

J’avais honte devant cette scène lamentable, où la stupidité semblait l’emporter sur la peur de la maladie...

Il y a 25 ans, Tanger accueillait pour la première fois le FNF. J’y étais. J’avais couvert l’événement pour le journal de l’ancien parti communiste, Al Bayane. Mes lecteurs étaient moins nombreux qu’aujourd’hui, ils étaient si rares que j’avais l’impression de tous les connaitre, un par un. C’étaient mes amis ou presque.

Je racontais donc à mes rares lecteurs/amis mes ballades dans la ville, mes rendez-vous manqués avec Mohamed Choukri, je leur “pitchais” littéralement les films, tous les films. Parce que je n’en avais raté aucun...

Cette fois, je n’ai vu aucun film. J’étais dans ma bulle, je n’ai pu voir que mon film à moi, obligé, mais c’était une torture. Revoir son film, c’est comme se relire alors qu’il est trop tard. On ne peut voir que les travers.

Comme tout mon temps était libre, j’ai multiplié les échappées dans les rues de Tanger. La ville a quelque peu changé, c’est sûr. Mais, en mal ou en bien? Je ne sais pas.

Il y a plus de clinquant, beaucoup d’investissements ont été réalisés dans le BTP, le “boulibar” Pasteur a toujours fière allure. Et Eric’s, probablement le plus ancien spécialiste de burgers au Maroc, est là aussi, sans perdre ni de sa qualité, ni de la simplicité de l’endroit.

Mais il devient impossible de marcher 100 mètres sans être accosté, voire “accompagné” par un mendiant, un rabatteur trop collant, et tous ces enfants et ces jeunes désœuvrés...

Je ne peux pas terminer cette chronique spéciale sans évoquer ce qui s’est passé en cette matinée du 5 mars. Je sortais de la salle de cinéma, et je marchais dans la rue en attendant le point presse dédié à mon film. Le hasard a voulu que je passe devant une voiture qui venait de se garer en face d’une clinique. Quelqu’un qui passait par là, criait: “C’est un acteur, un acteur!”. Je me suis penché pour regarder à travers les vitres de la voiture. J’ai plus ou moins distingué un homme assis, inconscient, que l’on essayait de sortir en ouvrant la portière. Son visage était défiguré par la crise qui était en train de l’emporter...

J’ai appris quelques minutes plus tard que l’homme n’a pas survécu à cette crise, à laquelle je venais d’assister. C’était un acteur, Khalid Beckoury, je ne l’ai pas reconnu. Ce texte lui est dédié.

Par Karim Boukhari
Le 08/03/2020 à 09h00