Non, ce n’est pas normal!

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ChroniquePour une députée islamiste, enlever le hijab n’est pas un simple changement de look. L’enlever seulement en Europe n’est pas une question banalement personnelle.

Le 12/01/2019 à 16h59

L’histoire de la députée islamiste Amina Maelainine mérite quand même que l’on s’y attarde un peu. Parce qu’elle va au-delà de la vie privée et personnelle de la concernée. Elle va aussi au-delà de la (prétendue) campagne menée tambour battant contre les «stars» du PJD.

L’histoire en elle-même est simple. Des photos de la députée, cheveux au vent et tenue «européenne», sautillant devant l’emblème du Moulin rouge à Pigalle, quartier chaud de Paris. Ces photos sont-elles vraies? La députée dit que non, les autres, beaucoup d’autres soutiennent que oui.

Vraies ou fausses, ces photos montrent une femme libérée, joyeuse, heureuse d’être là. Et voilà que l’image d’un bonheur simple devient un problème. C’est terrible d’en arriver là.

Mais il y a une raison à cette situation aussi absurde que ridicule.

En temps normal, dirions-nous, le citoyen marocain doit être à son tour ravi de voir que l’élue qui le représente et défend ses intérêts au Parlement est une femme comme les autres, heureuse de voyager, pleine de vie, qui n’a aucun problème avec son corps, qui aime la nuit. Dit comme ça, c’est beau. C’est ravissant et c’est même rassurant, parce qu’il vaut mieux se faire représenter par des élus heureux, bien dans leur peau et qui aiment la vie…

Mais nous ne sommes pas en «normalie». Nous vivons dans un pays où le voile n’est pas seulement une affaire de goût personnel mais d’idéologie. C’est une question hautement politique. Le voile fait partie des arguments «de vente» du premier parti politique dans ce pays. Les islamistes en ont fait une obligation et une arme de manipulation collective.

Non, ce n’est pas normal qu’une élue développe une sorte de schizophrénie. Voilée au Maroc, dévoilée en Europe. Le jour et la nuit. Version pauvre, version soft. Cette double façade, ce discours double, traduisent un mépris profond pour les électeurs, pour le «peuple».

Il y a quelques mois, une célèbre bloggueuse marocaine, connue pour son voile et ses idées puritaines, avait créé un énorme buzz en déclarant à son public: «J’enlève mon voile et je vous explique pourquoi». Elle avait eu ce courage-là. Ceux qui l’aiment n’ont qu’à la suivre dans ses nouveaux choix vestimentaires et idéologiques, les autres sont libres de la bouder. Mais elle n’aura trompé personne. Parce qu’elle a été claire et honnête avec tout le monde.

Je souhaite à madame Maelainine, qui en est capable, et à d’autres aussi, le même courage.

Les leaders d’opinion, les élus, ont un devoir d’exemplarité. Et de clarté. Ils ont signé un contrat moral avec leur public. Ils ont des comptes à rendre à ce public. Ils doivent le respecter.

Si madame la députée traverse une période de doute existentiel, qui la fait évoluer sur certaines idées et parti-pris, elle doit en informer son public, celui qui a voté pour elle et qui lui fait confiance. Elle ne doit pas lui cacher cette évolution. Ce n’est pas une affaire personnelle mais politique, publique.

Pour une députée islamiste, enlever le hijab n’est pas un simple changement de look. L’enlever seulement en Europe n’est pas une question banalement personnelle. Oh que non!

Cette polémique autour de madame Maelainine a quelque chose d’utile, au fond. Parce qu’elle peut amener les islamistes à en finir avec une très grande hypocrisie autour du voile et d’autres signes extérieurs de foi et de probité. C’est avec ces armes qu’ils manipulent les masses. Ces armes sont terribles. Ils en font une politique, une affaire publique, qui les autorise à se mêler de la vie des gens, à lancer des appels à la haine contre la frange progressiste de la société marocaine.

Rappelez-vous: jusqu’à une époque récente, nombre d’élus de droite et d’hommes de foi interdisaient à leurs suiveurs d’envoyer leurs enfants dans les écoles des missions étrangères. «N’y mettez pas les pieds, ni vous, ni votre progéniture, c’est haram!». Mais ils s’empressaient, eux, de convoyer leurs propres enfants dans ces écoles «haram».

Les Marocains, tous les Marocains et pas seulement la frange progressiste de la société, n’en peuvent plus de ce genre d’hypocrisie!

Par Karim Boukhari
Le 12/01/2019 à 16h59