Que l’Etat fasse quelque chose pour moi, bordel!

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ChroniqueIls lèvent les mains au ciel et prient. Ils attendent un miracle. Le miracle, c’est l’Etat. Que l’Etat fasse quelque chose pour eux, bordel! 

Le 16/05/2020 à 11h02

Je suis un enfant du rock, du cinéma, de la littérature, de la poésie, de la presse. Quand je voyage, il y a toujours sur moi, dans mes bagages, mes poches, mes mains, quelque chose à lire, à regarder, à écouter. Et un stylo et un bout de papier pour écrire ou prendre des notes. La culture, c’est toute ma vie. Je la consomme et j’en vis.

La crise de la culture est donc la mienne. C’est moi qui suis en crise. Ne vous offusquez pas: je fais comme chacun de vous, j’évalue l’état du monde via mon petit prisme personnel.

Ma crise est celle d’un consommateur et d’un producteur de biens culturels. Le consommateur se demande: qu’est-ce que je vais lire, regarder, écouter? Où est-ce que je vais pouvoir me procurer tout cela?

Le producteur se demande: qu’est-ce je vais devenir? Qui va rembourser mon manque à gagner? Comment je vais pouvoir exercer mon métier?

Le plus simple est de crier au secours. Le consommateur veut son livre, son film, son journal, il les veut comme avant et il les veut gratuitement parce c’est la crise, sa crise.

Le producteur veut qu’on lui prenne la main comme à un vieil aveugle perdu au milieu de la route, qu’on lui montre le chemin, qu’on lui paie des indemnités de chômage, qu’on subventionne son quotidien.

Le consommateur et le producteur râlent et protestent. Mais contre qui exactement? Qui les a jetés dans cette impasse, cette crise dont ils ne voient pas le bout?

Le consommateur et le producteur sont les spectateurs de leur propre déchéance. Ils constatent les dégâts. Ils lèvent les mains au ciel et prient. Ils attendent un miracle. Le miracle, c’est l’Etat. Que l’Etat fasse quelque chose pour eux, bordel!

Le consommateur attend que l’Etat subventionne tous les produits culturels, qui doivent devenir gratuits. Peu importe comment. L’Etat n’a qu’à se débrouiller, n’a-t-il pas tous les pouvoirs et toutes les cartes en main?

Le producteur attend que l’Etat le paie pour ne rien faire, qu’il lui donne des garanties, qu’il efface ses ardoises, ses impayés, ses dettes, en attendant de lui trouver une solution, de le recaser, le redéployer.

Et puis, quoi encore?

En restant dans son confort personnel, ses habitudes, ses acquis, ses certitudes, sa paresse, ses réflexes dont il ne veut pas changer, le consommateur et le producteur que je suis sont condamnés à une mort certaine.

Comment donc échapper à cette mort par étouffement, étourdissement, inadaptation? Ben, je ne vois qu’une seule réponse possible: en ouvrant les yeux et en sortant de ma zone de confort.

Au fond, ce n’est pas la culture, sa consommation et sa fabrication, qui sont en voie de disparition. Ce qui est en danger, c’est le modèle sur lequel je me suis reposé pour consommer les biens culturels, et pour en fabriquer. Ce modèle est en train de vaciller, de muter, et il va falloir que je me secoue un peu pour trouver des modèles alternatifs et m’adapter à tous ces changements qui ne m’ont pas demandé mon avis.

«Que l’Etat fasse quelque chose pour moi, bordel!». Tout le monde répète la même chose. Tous les secteurs, le formel et l’informel, chacun prêche pour sa paroisse, même les riches crient au secours. Combien seront prêts à sortir de leur zone de confort et à bouleverser leurs petites habitudes, pour commencer?

Par Karim Boukhari
Le 16/05/2020 à 11h02