S’il vous plaît, servez la jeunesse, dégagez!

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ChroniqueLes femmes et les jeunes, on les exposait à la vitrine pour dire «voyez comme on est ouvert à tous» et ils venaient remplir ce qu’on appelle la base, le peuple du parti, de la chair à canon.

Le 30/03/2019 à 16h53

Beaucoup de leaders politiques ont inscrit «servir la jeunesse» parmi leurs priorités. Soi-disant. Servir la jeunesse, en réalité, cela veut dire lui laisser la place. Dégager!

Quand on observe l’âge canonique de la plupart des chefs de parti, on a très envie de leur dire : s’il vous plait, servez la jeunesse, dégagez!

J’ai longtemps côtoyé un parti de gauche. Nous étions si sérieux que, à présent que j’y pense, je souris parce que tout cela était drôle, parfois comique.

Les réunions au sommet se déroulaient dans un climat grave, tendu, les «zouamas» ressemblaient à Jésus portant la croix sur le dos. Tout le monde adoptait le même ton grave et trop sérieux pour être vrai. On parlait des luttes des classes, des masses laborieuses, de l’impérialisme et du libéralisme sauvage…

Quand une femme ou un jeune opinaient, on les invitait indirectement à se taire en leur rappelant qu’ils avaient des sections «jeunesse» et «femme» où ils pouvaient dire et faire ce que bon leur semblait. Ici, seuls les anciens décident, prennent la parole, élaborent des stratégies, réfléchissent au sort du monde…

Un zaïm m’avait dit, une fois: «Nous, au moins, on a des sections pour la femme et la jeunesse, d’autres n’en ont pas!».

Quand ces sections ont été créées, à l’intérieur de structures dominées aux avant-postes par des hommes et des «anciens», l’intention était d’offrir un canal et une voix aux sans voix, c’est-à-dire aux femmes et aux jeunes. Tout en les gardant sous contrôle, bien entendu.

C’étaient des faire-valoir, on les intégrait pour respecter les quotas et faire bon genre. Peu grimpaient dans la hiérarchie. Les femmes et les jeunes, on les exposait à la vitrine pour dire «voyez comme on est ouvert à tous» et ils venaient remplir ce qu’on appelle la base, le peuple du parti, de la chair à canon.

Mais tout cela appartient au passé, heureusement. Les temps ont changé, les sociétés ont avancé, le monde politique lui-même a évolué. En une formule: on ne fait plus la politique comme avant.

Si Bouabid, Ben Barka, Boucetta, Yata, Allal El Fassi ou Bensaid avaient la chance de conduire aujourd’hui un parti politique, ils nous serviraient autre chose que les discours paternalistes du passé. Surtout, ils commenceraient par supprimer ces sections «jeunes» ou « femmes » qui sont une aberration!

Ces sections, qui fonctionnent selon le principe archaïque du «chacun à sa place», sont l’équivalent d’une crèche. C’est pour les enfants. On les enferme et on les laisse se débrouiller entre eux. Il n’en sortira jamais rien de toute façon.

Il faut ouvrir les crèches. Les femmes et les jeunes ont pris le pouvoir partout dans le monde, pourquoi ne le feraient-ils pas au Maroc, où la classe politique a besoin d’un sérieux coup de balai?

Par Karim Boukhari
Le 30/03/2019 à 16h53