Tarik Ibn Ziyad, le Marocain!

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ChroniqueNon, le célèbre Tarik qui a donné son nom à un pays (Gibraltar), n’est pas forcément marocain. Ni algérien. Et il ne s’appelait probablement pas Tarik!

Le 10/04/2021 à 09h00

L’histoire, la grande histoire, notre propre histoire, a toujours été une leçon d’humilité. Elle sera toujours décevante et cassante, une vraie briseuse d’élan, pour ceux qui croient ou espèrent y trouver source de grandeur et de majesté. A ces doux rêveurs, elle rappelle constamment: «Eh non, mon ami, cela ne s’est pas passé comme tu croyais».

Prenez la petite polémique actuelle (Marocain ou Algérien? Berbère ou Arabe?) sur l’origine ethnique et géographique de Tarik Ibn Ziyad. La légende nous dit que cet homme a été le premier à conquérir l’Espagne au VIIIe siècle. La légende lui prête aussi la fameuse phrase : «l'ennemi est devant vous et la mer est derrière vous», prononcée pour motiver ses troupes.

Tout cela, on nous l’a appris très tôt à l’école, à un âge où les légendes s’impriment dans la mémoire et ne la quittent jamais.

Mais tout cela est-il vrai? Pas forcément. Les progrès historiques nous disent, aujourd’hui, que ce «général» musulman ne s’appelait pas forcément Tarik, que la phrase qu’on lui prête est invraisemblable… et qu’il n’a pas été vraiment le premier à aller en Espagne.

Quant à son origine, arabe ou berbère, marocaine ou algérienne, eh bien, rassurons-nous, ou plutôt calmons-nous, rien ne prouve que «Tarik» était maghrébin, carrément. En gros, c’est toute l’historicité du personnage qui est largement remise en cause.

L’humilité, c’est cela. Au moment où certains s’écharpent et mènent une bataille rangée pour s’approprier «Tarik», le fin mot est ailleurs, loin de tous ces fantasmes et ces projections à relents nationalistes.

Il y a pourtant un pays qui porte pratiquement son nom (Gibraltar) et ce pays est bien réel. Ce qui montre l’ironie de l’histoire, finalement. Et sa complexité, bien entendu.

L’histoire obéit aussi à des prismes, elle est comme une caméra à laquelle on peut appliquer différentes focales, différents lumières et couleurs. Si bien que chacun peut voir l’image qu’il veut, et l’histoire qu’il veut.

La bataille célèbre de Oued el Makhazine, ou des trois rois (XVIe siècle), qui reste la plus fameuse dans le long récit national, illustre ce paradoxe. Inutile de vous rappeler ce qu’elle est et ce qu’elle représente au Maroc. Mais en Turquie, les jeunes écoliers apprennent que la bataille des trois rois est une victoire ottomane contre une coalition chrétienne, menée sur le front du Maghreb occidental. Rien d’autre.

Falsification? Ou simple changement de perspective?

Dans la même lignée, on peut citer les polémiques liées aux deux prestigieuses dynasties «marocaines» que sont les Almoravides et les Almohades. Nous connaissons leur histoire, d’un point de vue marocain. Mais qu’en est-il de nos voisins, à l’Est et au Sud?

A Nouakchott, les Almoravides sont un emblème et une fierté nationale. La sélection mauritanienne de football s’appelle Al-Mourabitoune, c’est dire.

Et en Algérie, on croit savoir que les Almohades sont une histoire algérienne parce que la dynastie régnante est originaire de la région de Tlemcen et que la rencontre fondamentale entre le «prophète» Ibn Toumert et le futur calife Abdelmoumen a eu lieu à Bejaïa.

Sans oublier que cette histoire est perçue bien différemment en Espagne, où les deux dynasties berbères ne sont que des «déferlantes» de maures et de musulmans, héritiers et nostalgiques de l’ère omeyyade…

Alors, comment faire avec tout ce méli-mélo? Pour commencer, restons humbles surtout. Et ne blâmons personne même si ces décalages dans la perception de l’histoire peuvent heurter certaines sensibilités…

De toutes les façons, ce que vous apprendrez en creusant l’histoire, les histoires, ne correspondra jamais exactement à ce qu’on vous a toujours dit. 

Par Karim Boukhari
Le 10/04/2021 à 09h00