Une brèche dans le mur

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ChroniqueBeaucoup l’oublient, mais le plus dur, le plus violent reste l’instrumentalisation religieuse des libertés individuelles.

Le 19/10/2019 à 15h31

La grâce accordée à Hajar Raissouni et aux autres nous a offert un bol d’oxygène au moment où l’air devenait irrespirable. Beaucoup, et pas seulement les intéressés et leurs familles, ont pleuré toutes leurs larmes parce que cette affaire, depuis son début et jusqu’au verdict prononcé en première instance, était une vraie source d’inquiétude pour le présent et l’avenir de ce pays.

Le bol d’air frais que nous offre ce très beau geste royal, dans un timing quasi parfait, va nous permettre de reprendre nos esprits avant de repartir du bon pied. Parce que la lutte n’est pas finie. Il y a une brèche, voire plusieurs, une ouverture «dans le mur», un espoir. Il faut s’en saisir, il faut en profiter pour aller plus loin.

La dépénalisation des libertés individuelles, qui est une cause juste et universelle, ne tombera pas du ciel. Elle ne viendra pas par un coup de baguette magique.

La grâce royale a d’abord été un geste humain très fort. Ceux qui ont mis les pieds, ne serait-ce que quelques heures dans une prison marocaine, mesurent le soulagement extraordinaire de ceux qui viennent d’être grâciés…

Mais la grâce a aussi d’autres portées, c’est évident. Le communiqué officiel explique que ce geste est motivé par la volonté de «préserver l'avenir des deux fiancés qui comptaient fonder une famille conformément aux préceptes religieux et à la loi, malgré l'erreur qu'ils auraient commise».

Cela veut dire qu’il existe toujours un cadre religieux et juridique qui est là et avec lequel il faut composer (en attendant de le changer ou de le faire évoluer).

Mais l’emploi du conditionnel («l’erreur qu’ils (les deux «fiancés») auraient commise») élargit le champ des interprétations vers deux points essentiels, qui sont très encourageants. Soit que les concernés n’auraient jamais du être arrêtés, soit que les lois qui les ont condamnés ne sont pas justes.

Tout en restaurant l’image du pays, qui en avait besoin, l’institution monarchique a remis la balle au centre et laissé la porte ouverte à ce qu’on pourrait appeler l’Ijtihad.

Il y a deux obstacles à la dépénalisation. Le premier est religieux et il faut travailler à faire sortir la question, justement, de ce cadre. La dépénalisation est au fond une question culturelle et humaine. Il est d’ailleurs heureux, au passage, que l’un des plus grands représentants de l’orthodoxie religieuse (le Mouvement unicité et réforme) ait exprimé, par la voix de son président, un avis plutôt favorable à la question («La questions des libertés individuelles est désormais urgente et pas secondaire»).

Le deuxième obstacle est juridique. Il y a des lois à abroger. Des partis et des personnalités politiques poussent dans ce sens. Des associations et des collectifs poussent encore plus.

Il faudra que ces gens puissent continuer de travailler, de pousser, de sensibiliser, de militer.

Il faudra aussi inviter les médias publics, surtout la télévision, à s’ouvrir réellement sur la question. Quitte à faire dans le pédagogique, il y a besoin et les médias publics servent aussi à cela.

Et il faut inviter les Habous à contrôler le corpus des ulémas, des imams et les prédicateurs. Ces gens servent une politique, ils ont une ligne à suivre et à respecter. Il ne faut pas qu’ils se transforment en fossoyeurs de toute avancée de la société marocaine. 

Beaucoup l’oublient, mais le plus dur, le plus violent reste l’instrumentalisation religieuse des libertés individuelles.

Par Karim Boukhari
Le 19/10/2019 à 15h31