L’arc de crise saharo-sahélien

L’Afrique réelle

ChroniqueLa décolonisation confirma cette inversion de forces puisque l’ethno-mathématique électorale donna la victoire politique aux plus nombreux, c’est-à-dire aux sudistes. Les nordistes n’acceptèrent pas cette nouvelle situation, d’où les soulèvements des Touareg et des Toubou dès les années 1963.

Le 03/05/2022 à 12h00

La crise régionale que traverse la région sahélienne a plusieurs origines. A la base de tout, se trouve le fait que l’espace sahélo-saharien, monde de contacts ouvert, a été cloisonné par des frontières artificielles qui forcent à vivre ensemble des pasteurs nordistes et des agriculteurs sédentaires sudistes.

Ensuite, depuis deux décennies environ, la région est devenue un relais pour les organisations mafieuses, 15% de la production mondiale de cocaïne transitant ainsi par le Sahara. Parallèlement, des organisations terroristes islamistes s’y sont installées, profitant de la porosité des frontières. Trafiquants et terroristes transnationaux utilisent les anciennes structures précoloniales de circulation Nord-Sud. Enfin, la région est devenue une terre à prendre, ses matières premières (uranium, fer, pétrole etc.) y attirant de nouveaux acteurs comme la Chine, la Turquie ou encore l’Inde.

A la fin du XIXe siècle, la colonisation libéra les sudistes de la prédation nordiste, mais, en même temps, elle rassembla les uns et les autres dans les limites administratives de l'AOF (Afrique occidentale française) qui devinrent des frontières d’Etats lors des indépendances.

En définitive, au Sahel, monde de juxtaposition de deux plaques tectoniques nomade-sédentaire, la conquête coloniale se fit à l’avantage de la seconde.

Or, la décolonisation confirma cette inversion de forces puisque l’ethno-mathématique électorale donna la victoire politique aux plus nombreux, c’est-à-dire aux sudistes. Les nordistes n’acceptèrent pas cette nouvelle situation, d’où les soulèvements des Touareg et des Toubou dès les années 1963.

En plus de cela, la disparition de l’Etat libyen a offert aux mouvements irrédentistes, aux trafiquants et aux terroristes, des opportunités exceptionnelles.

Le colonel Kadhafi avait réussi, au prix d’une dictature sévère, à imposer la stabilité intérieure dans un pays mosaïque, aujourd’hui fragmenté. A l’époque, les observateurs n’avaient pas compris que le sens profond de sa politique saharo-sahélienne s’expliquait par ses origines. Sa tribu, dont le cœur est la ville de Sabha, est certes numériquement peu importante avec ses 150 000 membres, cependant, elle occupe un espace stratégique, à la jonction de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque, à la verticale reliant la Méditerranée au cœur du Sahara, de Syrte à Mourzouk. Cette tribu chamelière engagée dans le commerce à longue distance était traditionnellement en relation avec les Toubou et les Touareg, ce qui explique les alliances du régime Kadhafi et son attirance pour le sud saharien et sahélien.

Comme le colonel Kadhafi contrôlait une vaste partie de la sous-région, son élimination a créé une nouvelle définition géopolitique régionale. D’autant que les armes dérobées dans les arsenaux libyens irriguent de vieux conflits (nord Tchad, Touareg, Darfour etc.). Et enfin, les milliers de kilomètres de frontière entre la Libye et les pays voisins ne sont plus contrôlés. 

Par Bernard Lugan
Le 03/05/2022 à 12h00