L’armée marocaine à travers l’histoire

L’Afrique réelle

ChroniqueLes abids sont à l’origine de la célèbre Garde Noire marocaine. Cette armée noire eut des effectifs considérables pour l'époque puisque, selon les auteurs, elle aurait compté entre 30 000 et 150 000 hommes dans les années 1720-1725.

Le 15/06/2021 à 10h59

Au XVIe siècle, l’armée marocaine était une armée moderne capable à la fois de participer à l’administration du pays, de défendre son indépendance, de se projeter loin de ses bases, comme lors de l’expédition de Tombouctou en 1591, et également d’intervenir sur mer. Elle disposait d’un service de santé.

Une attention toute particulière fut accordée à sa modernisation sous le règne de Mohammed Ech-Cheikh (1554-1557). Une fonderie de canons fut alors créée à Fès et, à partir de ce moment, l’armée marocaine fut dotée d’un parc d’artillerie.

A son tour, le sultan Moulay Ismail (1672-1727) réorganisa l’armée dont il fit un puissant outil. Avant lui, les souverains marocains avaient tenté l'expérience du recrutement de forts contingents de chrétiens convertis, les «renégats» des Européens, ou bien de mercenaires chrétiens. Mais le système avait montré ses limites, surtout en cas de conflit avec d’autres puissances chrétiennes et les exemples de désertion avaient été nombreux. Moulay Ismail décida donc de limiter leur place dans l’armée. Cependant, les écrits de l’un d’entre eux, l’Anglais Thomas Pellow, nous apprennent qu’ils constituaient encore une partie de l’encadrement des armes techniques comme l’artillerie ou le génie, ou bien qu’ils étaient utilisés comme unités-choc que le sultan exposait au feu sans tenir compte de leurs pertes. A la mort de Moulay Ismail, ils étaient ainsi plus de 2000 sous les armes, mais leur nombre décrut par la suite. Dans les années 1830, ils n’étaient plus que 200 environ.

En revanche, Moulay Ismail élargit le petit noyau de soldats noirs, les abids qui lui servaient de garde du corps, pour en faire une véritable armée. Avec les abids, il constitua un corps en théorie totalement dévoué à sa personne. Afin de s’assurer leur fidélité, Moulay Ismail leur fit prêter serment sur le recueil de Traditions de l’imam Al Bokhari, ce qui explique pourquoi ils étaient également désignés sous le nom d’abid al Bokhari ou Bouakhar.

Les abids sont à l’origine de la célèbre Garde Noire marocaine. Cette armée noire eut des effectifs considérables pour l'époque puisque, selon les auteurs, elle aurait compté entre 30 000 et 150 000 hommes dans les années 1720-1725. Il n’y eut pas de problème de recrutement puisque l’autorité marocaine s’exerçait alors jusqu'aux fleuves Sénégal et Niger.

Si une partie importante de l’armée de Moulay Ismail était composée d’abids, les tribus guich ou tribus militaires, n’en fournissaient pas moins l’essentiel des contingents lesquels étaient répartis à travers tout le royaume.

Durant le règne de Sidi Mohammed ben Abdallah (1757-1790), les abids devinrent une menace et le souverain les mit au pas en s’appuyant sur les tribus arabes maqil établies dans la région du Souss, n’en gardant que 15 000 répartis en plusieurs garnisons flanquées par des contingents berbères ou des recrues guich.

Sidi Mohammed ben Abdallah réorganisa profondément l’armée. Il fit ainsi fortifier les villes côtières qu’il équipa d’artillerie et, sous son règne, la piraterie qui passa largement sous le contrôle de l’Etat, évolua en une véritable guerre de course.

Quand Moulay Abderrahmane ben Icham (1822-1859) monta sur le trône au mois de novembre 1822, le Maroc était une puissance invaincue disposant d’une armée moderne composée de quatre grandes catégories de troupes:

– les tribus militaires ou tribus guich fournissaient les contingents réguliers en échange d’avantages divers.

– les abids, qui pouvaient être soit d’origine sud-saharienne, les abids «noirs», soit d’origine marocaine, les abids «blancs», généralement recrutés parmi les tribus arabes dont celle des Oudaya. Afin d’équilibrer son pouvoir, le sultan pouvait opposer sa garde noire et sa garde blanche. En 1831, la première écrasa ainsi la seconde.

– les contingents fournis par les tribus naïba ou tribus payant l’impôt et fournissant quelques contingents de recrues.

– en cas de péril extrême, le sultan pouvait faire appel aux Moujahidin ou combattants de la foi qui fournissaient des levées massives.

Par Bernard Lugan
Le 15/06/2021 à 10h59