Au sujet de l’héritage marocain de Tlemcen

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ChroniqueDe Moulay Driss à Moulay Abderrahmane en passant par les règnes almoravide, almohade, mérinide ou saâdien, Tlemcen témoigne encore de ces empreintes indéniables, auprès d’autres apports civilisationnels, au-delà de tous les clivages…

Le 23/04/2022 à 12h00

Toutes les vérités ne sont pas bonnes à dire. La directrice marketing d’Air Algérie vient de l’apprendre à ses dépens, limogée de son poste pour avoir osé faire l’éloge sur les réseaux sociaux du «passé riche et varié» de Tlemcen, «avec ses monuments historiques marocains, espagnols et sa touche andalouse».

Où est le problème?

Serait-ce l’allusion à l’occupation espagnole dans un contexte de Reconquista chrétienne; ou plutôt, comme l’on s’en doute, le rappel de l’empreinte indéniable, étalée au fil des siècles, laissée par un pays frère?

Les faits sont têtus.

Dès l’an 790, Idris le Grand avait effectué une expédition à Tlemcen où il édifia une mosquée, dotée d’une chaire portant son nom et d’un imposant minaret de forme carrée surplombant la plaine.

La ville s’appelait alors Agadir, nom donné par ses fondateurs Zenata, du groupe Béni Ifren, sur l’emplacement de l’antique camp romain de Pomaria.

Le successeur, Idris Le Jeune, poursuivit l’œuvre de son père. Il s’installa durant trois ans à Tlemcen dont il restaura la mosquée et les remparts et dont il accorda l’administration à ses cousins Slimanides, issus selon la tradition généalogique de la lignée de Soulaymane, frère d’Idris Ier.

Les découvertes de monnaies portant le nom d’Idris II et la présence d’ateliers de frappe y sont par ailleurs attestées.

«Agadir, écrit Georges Marçais, demeura pendant tout le IXe siècle, une place dépendante des Idrissides de Fès, un pôle de diffusion de leur influence religieuse à travers les campagnes du Maghreb Central.»

Après la chute de leur royaume et ceux et de leurs successeurs zénètes, viennent les Almoravides, maîtres d’un empire qui s’étendait des berges du fleuve Sénégal aux frontières de l’Aragon et de l’Atlantique à Bejaïa avec Marrakech pour capitale.

On leur doit, entre autres réalisations, la grande mosquée de Nedroma, édifiée en 1081 par Youssef ben Tachfine comme en témoigne une inscription sur le minbar; celle d’Alger datant de 1096 environ (avec quelques remaniements postérieurs); la grande mosquée de Tlemcen; le Hammam Sebbaghine (Bain des Teinturiers) toujours visible…

A cette date, Tlemcen prenait la forme de deux grands quartiers séparés chacun par ses remparts.

A l’ouest d’Agadir, les Almoravides avaient en effet érigé Tagrart, dans le sens de campement militaire, peuplé par les officiels (troupes, notables et fonctionnaires) devenu le noyau du nouveau centre urbain de Tlemcen, doté de tous les attributs d’une métropole.

C’est à Tagrart que le premier sultan almoravide Youssef ben Tachfine aurait édifié en 1082 la grande mosquée, ornée par son fils Ali d’une coupole du mihrab et de décorations aux influences cordouanes.

C’est aussi ce même Tagrart, qui connut les affres de la guerre opposant Almoravides et Almohades.

Ces derniers sont, comme chacun sait, issus des montagnes du Haut Atlas, avec à leur tête le guide spirituel Mohamed ben Toumert et pour chef de guerre, son disciple venu avec lui de l’Est lors de son retour d’Orient, Abdelmoumen al-Goumi, du nom de la tribu Goumiya, enracinée près de Nedroma.

L’œuvre architecturale et artistique des Almohades, témoignant de leur farouche sobriété fidèle à la pureté de la foi proclamée, est étendue à travers leur vaste empire, unificateur du Maghreb et de l’Espagne avec Marrakech pour capitale.

A Tlemcen, réunifiée depuis au sein d’une même enceinte, évoquons le décor de la mosquée et le minaret archétypal, rapproché de ceux de la Koutoubiya, de la Tour Hassan ou de la Giralda.

Après l’unité politique vint le temps de l’émergence de nouvelles entités signant la dislocation de l’empire almohade.

Les Banou Hafs, anciens gouverneurs de Tunis, issus de la filiation du grand chef almohade Abou-Hafs (de son nom initial Faska), issu du Haut Atlas (précisément de la tribu Hintata) furent tentés par l’indépendantisme. En 1269, ils étendent leur pouvoir sur une partie du nord-ouest de la Libye, sur le nord-est de l'Algérie jusqu'à Sétif, ainsi que sur la Tunisie pendant trois siècles.

Pour leur part, les Zianides Abdelwadides formèrent en 1235 une principauté régnant sur l’ouest algérien avec Tlemcen pour capitale, non sans heurts avec leurs frères ennemis mérinides, de même souche zénète, dont la capitale était la ville de Fès.

C’est ainsi que le Mérinide Abou-Yaâqoub Youssef avait tenté par trois fois de prendre Tlemcen, protégée par ses solides remparts avant d’entamer en 1299 un long siège.

Pendant ce temps-là, il dressait face à Tlemcen la ville-citadelle de Mansoura, la Victorieuse.

Ironie du destin, c’est à cet endroit où il trouva la mort, assassiné par un de ses hommes, venant à bout d’un siège de huit ans.

L’histoire retient également l’interrègne mérinide sur Tlemcen de 1337 à 1359 avec une reprise d’influence, au gré des vicissitudes accompagnant le déclin des Zianides.

Parmi les réalisations mérinides dans la région: la mosquée de Sidi Boumediene à El-Eubbad, en plus de la médersa et du palais dit «Dar Sultan»; la mosquée jouxtant le sanctuaire de Sidi al-Haloui; l’embellissement de Mansoura, considérée comme une de leurs meilleures œuvres au Maghreb, détruite par les Zianides pour n’en garder que des ruines…

Avec la Reconquista, l’occupation espagnole sur le littoral méditerranéen africain engloba Mers el Kébir, Oran, Mostaganem, Tlemcen, Bejaia et le Penon d’Alger en 1510...

C’est là où furent sollicités les célèbres frères corsaires Kheir-Eddine (dit Barberousse) et Baba Arrouj, devenu maître d’Alger avant d’être tué en 1518 dans une attaque espagnole contre Tlemcen.

Pour parer aux menaces ibères, son frère Kheir-Eddine demanda la protection du sultan de Constantinople qui l’a hissé au rang de Beylerbey, soit vice-roi de ce qui est devenue une province du vaste empire ottoman.

C’est le début de la Régence d’Alger qui allait durer 312 ans, jusqu’à la colonisation française.

L’émirat zianide de Tlemcen vivant ses dernières heures, les habitants de la ville envoyèrent une députation demandant l’aide des Saâdiens contre les Turcs.

En 1550, Mohamed Cheikh, dont la capitale était Taroudant, levait une armée de 30.00 hommes.

Prenant Tlemcen, il fait même une progression vers Mostaganem et la vallée du Chlef sous le commandement de son fils et généralissime, Mohamed Harran.

La réaction turque fut rapide et violente. Le général Hassan Corso dirigea une riposte d’envergure en 1552.

Cinq ans plus tard, alors qu’ils étaient occupés par la flotte chrétienne Andréa Doria qui menaçait le Bosphore, les Ottomans virent les troupes saâdiennes entrer à Tlemcen mais sans parvenir à occuper le mechoir, défendu par le caïd Seffah retranché avec près de 500 janissaires. L’armée saâdienne dut battre en retraite, laissant sur place le caïd Mansour avec ses troupes.

Bien plus tard, dans un contexte d’accroissement des ambitions coloniales, marquées en 1830 par la prise d’Alger par la France, une délégation de la population de Tlemcen se rendit à Meknès pour présenter son allégeance au sultan alaouite Moulay Abderrahmane.

Dès lors, le mouvement des populations fut ininterrompu.

Elles venaient trouver refuge à Oujda, à Taza, à Tétouan, à Fès ou à Rabat, comme l’avaient fait d’autres avant pour fuir l’emprise ottomane; pour bénéficier des avantages de la cour des princes mérinides à l’époque médiévale; voire, en tous temps, pour mille et une autres raisons susceptibles de les conduire sur le fameux axe Fès-Tlemcen.

Par Mouna Hachim
Le 23/04/2022 à 12h00