Chevauchées sahariennes

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ChroniquePolitiques, spirituels, économiques, culturels… Les liens entre le Maroc et le Sahara sont innombrables.

Le 10/07/2021 à 11h00

Mes périples livresques de plusieurs années dans les méandres de la généalogie et de la toponymie marocaines, m’ont permis d’entrevoir des aspects saisissants de relations humaines, d’interpénétrations ethniques et de cohésion de la trame sociale.

Des livres entiers seraient à peine suffisants pour décortiquer les mouvances des tribus sahariennes, leurs répartitions géographiques aux quatre coins du Royaume, assorties de la forte conviction d’une appartenance à un même corps.

Nul besoin de revenir ici sur l’établissement, dans les temps les plus reculés, des Sanhaja berbères sahariens, que ce soit dans le Rif, dans le bassin de l’Ouergha, dans la région d’Azemmour ou au Moyen Atlas et leur adoption d’un mode de vie sédentaire, différent de celui de leurs vieux frères nomades chameliers du désert.

Il est évident aussi que la fondation de l’empire almoravide issu du désert, avec Marrakech pour capitale, avait drainé dans son sillage, plusieurs tribus sahariennes.

Plus proche de nous, au XVIe siècle, un des faits marquants durant la prise du pouvoir par la dynastie saâdienne, victorieuse des Portugais sur les côtes du Souss, est la progression vers le Nord de tribus bédouines enrôlées dans la guerre sainte dans un contexte assumé de Croisade.

Dites Ma’qil, elles sont considérées par la tradition comme étant d’origine yéménite et seraient arrivées au Maroc au XIe siècle, dans le sillage de la taghriba (marche vers l’ouest) des Béni Hilal, pour être refoulées dans le désert par des tribus plus puissantes.

Au milieu du XIIIe siècle, à l’appel du seigneur almohade révolté, Ali ben Yedder, des tribus Ma’qil peuplèrent en nombre les plaines du Souss, tandis que d’autres fractions s’engagèrent davantage vers le grand Sud où elles furent plus tard prédominantes.

C’est de leur métissage avec les autres groupes ethniques amazighes et noirs que se forma la société maure au parler Hassaniya.

Selon la tradition généalogique, ce dernier vocable est rattaché à un ancêtre légendaire: le guerrier Hassan ben Mokhtar ben Mohamed ben ‘Aqil ben Ma’qil.

Les récits lui attribuent cinq fils dont les incalculables ramifications sont toutes réunies sous le dénominatif «Hassân»:

- Abd-Rahmane serait ainsi l’ancêtre des Rhamna (rattachés par d’autres versions à la lignée de Rahmoun, fils de Rizq, fils de Oudey);

- Hammou, père des Brabech;

- Ubayd-Allah donnerait entre autres groupes, les Oulad Damane;

- Dlim, ancêtre des Oulad Dlim, à la présence significative au Sahara, dans le Souss depuis le XIIIe siècle, le nord-ouest de Marrakech à partir du XVIe siècle, la plaine du Gharb au XIXe siècle suivant alors la destinée des Chrarda rebelles…

- Quant à Oudey, il aurait engendré trois fils: Rizg, A’rouk et Maghfir, regroupés tous sous le dénominatif «Oudaya». Employés avec sollicitude dans l’armée régulière du sultan alaouite Moulay Ismail, ils sont considérés comme ses oncles maternels, sa mère étant la Mghafriya Lalla Mbarka, alors que son épouse est également Mghafriya, la célèbre Khnata bent Bekkar, mère du sultan Moulay Abd-Allah, surnommée «la Sultane savante».

Quoi qu’il en soit de la véracité des croyances généalogiques, ces tribus sahariennes nomadisaient à travers le vaste espace à la recherche de pâturages et participaient de manière active au commerce transsaharien, avant de subir les conséquences de la perturbation de cet équilibre économique et le déplacement des voies traditionnelles des échanges en raison de l’occupation ibère.

Dans ce contexte furent proclamés, dans la vallée du Draâ, les sultans saâdiens comme fers de lance de la guerre sainte, rejoints par les tribus du sud-ouest qu’elles soient formellement enrôlées ou pas dans le registre de l’armée appelé «Guich Ahl Souss».

Parmi elles, concentrons-nous aujourd’hui sur les Rhamna, avec l’éventualité d’un retour sur d’autres tribus dans des chroniques ultérieures.

Proches de la dynastie saâdienne, une des leurs personnalités captivantes, est Sahaba Rahmaniya, épouse du sultan Mohamed Cheikh et mère du sultan Abd-el-Malik, auprès duquel elle joua un rôle politique attesté lors des équipées familiales et diplomatiques auprès des maîtres ottomans du palais du Bosphore.

Dans sa fameuse thèse de doctorat en sociologie, intitulée Le Haouz de Marrakech, Paul Pascon nous apprend en ce qui concerne les Rhamna, qu’ «en 1517, ils sont signalés bien au sud d’Agadir, probablement même au sud de Massa, accompagnés des Oulad Dlim, des Ahmar et des Oudaïa. En 1525, ils participent à l’attaque de la forteresse portugaise de Santa Cruz (Agadir) (…) C’est entre cette date et 1565, qu’on les trouve circulant dans la région de Marrakech... ».

On peut ainsi suivre les pérégrinations des Rhamna depuis les parties septentrionales du Sahara où ils étaient réputés pour leur puissance, entretenant des échanges commerciaux entre le bassin du Niger et le sud-ouest du Maroc; jusqu’à leur installation près de la capitale impériale, Marrakech, où ils formèrent une tribu naïba, s’acquittant de l’impôt et mettant à disposition du sultan, en cas d’expéditions, des contingents de fantassins et de cavaliers.

Occupant un vaste espace de transhumance et d’élevage étendu entre l’Atlas et l'oued Oum Rebii, les Rhamna virent ce territoire se rétrécir, particulièrement aux XVIIIe et XIXe siècles pour se concentrer dans la zone située entre les deux oueds Oum-Rebiî et Tensift, avec pour chef-lieu la localité de Ben-Grir, tandis que leur nom est encore vivace avec Skhour Rhamna au milieu de ces étendues semi-arides surplombées de crêtes rocheuses.

Impossible à ce stade de ne pas évoquer cet autre trait retenu par l’histoire, relatif à leurs turbulences et à leurs actions hardies contre la capitale qui leur vaudront quelques déportations notables.

Citons à ce titre, celle consécutive à la révolte de 1860 au terme de laquelle quelques éléments furent transférés dans la région de Ksar-el-Kebir où ils laissent leur nom à Douar Rhamna.

Malgré ces déboires, ils continuèrent à rester proches des cercles du pouvoir et donnèrent des personnalités politiques de renom comme le vizir Mohamed Rahmani, représentant du sultan Sidi Mohamed ben Abd-Allah à Marrakech et dont l’un des hauts faits fut la participation à la libération de Brija (future El Jadida) ; ou encore, le puissant caïd, Abd-al-Hamid Rahmani, chargé d’une ambassade à Madrid en 1891, nommé Pacha de Marrakech huit ans plus tard… Sans oublier leurs hommes de plume et de savoir avec entre autres personnalités, le jurisconsulte de Marrakech du XIXe siècle, cheikh Bahloul ben Ali Bouselham.

Dans ce cadre, cette «confédération hétéroclite», selon les termes de Paul Pascon, est riche de divers éléments tribaux, connus sous des appellations liées à leurs fractions comme les Bouselham, les Garni, les Berbouchi, les Boubekri, les Guerraoui… Tous essentiellement sahariens, constituées en «fakhda», littéralement «cuisse», reliée viscéralement à un même corps.

Jusqu’en 1905, l’explorateur et sociologue Edmond Doutté les présente comme étant vêtus du khent, cotonnade teinte à l’indigo, caractéristique des Tekna et des Sahariens du sud de l’Oued Draâ.

On peut évidemment adhérer ou pas aux logiques des généalogies effectives ou fictionnelles, mais on ne peut faire table rase ni des données de l’histoire, ni des permanences culturelles défiant le poids des siècles.

Par Mouna Hachim
Le 10/07/2021 à 11h00