Gouvernement: la tonalité de l’Istiqlal

Mustapha Sehimi, politologue.

Mustapha Sehimi, politologue. . DR

ChroniqueComment ne pas relever que les trois partis de l'exécutif n'ont pas dressé un bilan commun de leur gestion depuis douze mois?

Le 02/10/2022 à 11h52

L'agenda n'est jamais neutre en politique -c'est connu. Le forum organisé le mercredi 28 septembre, à Casablanca, par l’Alliance des économistes istiqlaliens (A.E.I.) avait pour thème «quels levier pour une reprise inclusive et durable dans un contexte de crises internationales inédites». Une rencontre marquée par la présence et la participation de quelques trois cents membres de l'A.E.I, les ministres et les élus de cette formation.

Une rencontre présidée par Nizar Baraka, secrétaire général du PI ainsi que par Abdellatif Maâzouz, président du Conseil de région Casablanca Settat.

Un invité de marque: l'eurodéputé espagnol Antonio Lopez-Istùriz White, Président de l’Internationale démocratique du Centre (IDC), qui a fait une longue intervention d'ailleurs, sur «L'Union européenne et ses relations avec le Maroc». Un clin d'œil, pour rappeler que ce parti ayant une balance pour emblème, a un réseau et un carnet d'adresses à l'international...

Cela dit, cette rencontre intervient après la grand-messe organisée par le président du RNI, Aziz Akhannouch, voici trois semaines à Agadir.

Formellement, c’était l'Université d'été des jeunes du parti. De fait, un show du Chef du gouvernement sur le bilan de son cabinet un an après son investiture -les promesses électorales tenues, les mesures et les réformes lancées ou en cours, le tout marqué du sceau de l'autosatisfaction et de l'optimisme. Une figure classique, dira-t-on, sauf à préciser qu'il a mis en relief sa propre formation. Et dans tout cela, le gouvernement avec ses deux autres composantes que sont le PAM de Abdellatif Ouahbi et le PI de Nizar Baraka? Aux abonnés absents! Certes, les trois groupes parlementaires de l'actuelle majorité ont tenu une réunion commune pour faire état de leur «unité» et de leur résolution à soutenir la politique de réforme du gouvernement.

En tout cas, le PAM, lui, n'est pas audible sur ce registre, à la différence donc de son allié istiqlalien. Et, plus encore, comment ne pas relever que les trois partis de l'exécutif n'ont pas dressé un bilan commun de leur gestion depuis douze mois?

Pèsent sur le climat ambiant et leurs relations un certain nombre de facteurs cumulatifs. Le premier a trait à une interrogation partagée sans doute par le PAM et le PI quant à un remaniement au sein de l'équipe actuelle nourri par deux faits: l'un est public, et regarde l'annonce faite déjà en octobre dernier par le Chef du gouvernement en personne, à propos d’une adjonction prochaine de secrétaires d'Etat. Un an après, où en est-on? La parole publique, officielle, perd de sa crédibilité. A quoi tient cette situation peu avantageuse? Va-t-elle perdurer encore? L'autre facteur intéresse cette information donnée au début du mois dernier par un hebdomadaire français sur le départ de certains ministres en responsabilité aujourd'hui. Un ballon d'essai? Un écho sourcé et crédible? Au Maroc, Jeune Afrique n'est pas, jusqu'à plus ample informé, un canal autorisé.

Pour l'heure, si l'on revient sur la formation istiqlalienne, force est de faire ce constat que l'on peut résumer comme suit: l'inconfort. Sur les 18 départements ministériels attribués à la majorité, le RNI et PAM en ont obtenu respectivement sept, alors que le PI n'a pu en décrocher que quatre. Or, il n'y a que cinq sièges parlementaires de différence au sein de le Chambre des représentants entre le PAM (86) et le PI (81). Un si faible écart justifiait-il une sur-représentation du premier par rapport au second? Une cotation qui a conduit, par ailleurs, à ce que le comité exécutif du PI -fort de 26 membres- n'ait aucun membre dans le cabinet.

Pour autant, le PI s'emploie à donner une forte visibilité à son action gouvernementale. Nizar Baraka, ministre de l'Equipement et de l'Eau, bénéficie d'une conjoncture particulière dans ce sens, avec la grande problématique de la sécheresses et du stress hydrique; elle lui donne l'opportunité de mettre en perspective une stratégie à long terme; elle lui permet également de mettre en exergue toutes les mesures d'urgence prises dans l'approvisionnement en eau -dans le monde rural, le dispositif mis sur pied a bénéficié à plus de 2,4 millions de personnes. Un autre ministre de son parti, Ryad Mezzour, en charge de l'Industrie et du Commerce, ne cache pas son bilan satisfaisant depuis un an. La directrice de l'industrie dans son département, Kenza Alaoui, membre de l'A.E.I., a fait état lors de ce Forum, d'un grand bond de 43% des exportations industrielles de janvier à juillet 2022. Deux autres ministres n'ont pas cependant la même médiatisation et paraissent -encore?- en peine de politiques réformatrices -Aouatif Hayar (Solidarité, Insertion sociale et Famille) et Mohamed Abdeljalil (Transport et Logistique).

Ce rendez-vous qui a eu lieu dans la capitale économique du Royaume visait aussi à se projeter en 2023 et même au-delà. Nizar Baraka a ainsi insisté sur la nécessité de poursuivre une politique de relance, illustrée par un budget d’investissement de 245 MDH. Mais qu'en est-il de son exécution de fait? Au plus, 80%... Pour ce qui est de l'inflation, de l'ordre de 6-7% selon les prévisions actuelles, il vaut de noter qu’elle se situe à 12% pour les produits de grande consommation. Quelles mesures compte y apporter le gouvernement, le PI étant le plus attaché à la préservation du pouvoir d’achat des classes moyennes et des citoyens? Bank Al-Maghrib vient de relever le taux directeur à 2% (50 points de base): il ne manquera pas d'impacter les prêts et des crédits. La banque centrale, elle, assure qu'il aura un effet minime de 0,1% à 0,2% au plus. Le HCP, lui, est moins optimiste que le gouvernement. Pour le deuxième trimestre 2022, il souligne «un net ralentissement de la croissance», illustré par une contraction de la consommation de l'investissement (2,4%).

La relance économique par la demande? Elle reste bien problématique, et il faudra que le projet de loi de finances 2023 s’attelle fortement à cette équation.

Le responsable istiqlalien a aussi mis l’accent sur l’action de l’exécutif à trois niveaux: doublement de la compensation budgétisée à 16 MMDH et qui se situe à plus de 32 MMD aujourd'hui; soutien de l'emploi avec 130.000 emplois créés durant le premier semestre; et renforcement de la souveraineté nationale (énergie, produits alimentaires, industrie, etc.) et régionale (avancement du projet de gazoduc Nigéria-Maroc). La Charte d'investissement a été citée comme un nouveau cadre de promotion du développement. En délibération au parlement, elle sera adoptée lors de la session d'automne de cette institution. Mais elle ne pourra être opérationnalisée de fait qu'à la fin de l’année 2023, avec les dizaines de textes d'application nécessaires.

L'agenda? C’est aussi sa contextualiation. Elu secrétaire général en octobre 2017, Nizar Baraka prépare les prochaines assises pour la fin de cette année. Durant la première année du gouvernement Akhannouch, il a veillé à rester pratiquement dans son couloir de ministre. Aujourd'hui, il paraît avoir opté pour une autre approche: au forum de l'A.E.I., il a parlé comme... «Chef du gouvernement», dressant le bilan du cabinet; il a voulu montrer ainsi que son parti avait du recul sur la gestion; qu'il se préoccupait des leviers de la relance et des réformes; il a enfin mis l'accent sur les propositions et les lignes de force auxquelles il était attaché. Comme pour éviter leur dilution dans une politique gouvernementale manquant de lisibilité, de visibilité, de communication et de capacité d'intérêt voire d'adhésion. Une nouvelle tonalité, propre à la formation istiqlalienne...

Par Mustapha Sehimi
Le 02/10/2022 à 11h52