Maroc: une nouvelle identité stratégique

Mustapha Sehimi, politologue.

Mustapha Sehimi, politologue. . DR

ChroniqueGlobalement, la diplomatie marocaine enregistre une «nouvelle ère», ce n'est guère contestable dans tant de domaines, avec des prises de positions décomplexées. Quelles sont les orientations stratégiques qui déclinent cette diplomatie?

Le 22/03/2022 à 08h59

2021 a été une année de frictions, de tensions voire de crises –Allemagne, Espagne– Algérie, toujours... Cette année 2022 traduit une normalisation avec Berlin et Madrid. Ainsi va la diplomatie. Mais par-delà ces conjonctures particulières, un recul est peut-être à opérer dans le sens d'une mise en perspective des relations internationales du Maroc, et en particulier ceci: quelles sont les orientations stratégiques qui déclinent la diplomatie? Globalement, celle-ci enregistre une «nouvelle ère», ce n'est guère contestable dans tant de domaines, avec des prises de positions décomplexées.

Une grille de lecture s'impose à l'évidence: celle de la défense et de la préservation des intérêts supérieurs du Royaume –ce que l'on appelle les «lignes rouges». L'intégrité territoriale en est le socle avec pour corollaire l'indépendance et la souveraineté. Ce crédo est sacro-saint dans la politique étrangère du Maroc: hier, avec Mohammed V, puis avec Hassan II, et aujourd'hui avec Mohammed VI. Il s'agit du territoire national mais aussi d'une «terre d’Islam» consubstantielle au cahier des charges d'Amir Al Mouminine, Commandeur des croyants. Mais c'est également un substrat historique et culturel de la nation marocaine, comme Oumma, mais aussi comme communauté organique assumant son destin.

Cela dit, l'intégrité territoriale c'est d'abord la problématique de questions frontalières. Au nord, subsiste encore le statut de Sebta et Mellila, «présides» espagnols revendiqués par le Maroc. Avec ce voisin ibérique s'est posé, en juillet 2002, le problème de l’îlot Leïla (Persil) à 8 km de Sebta et à 250 mètres des côtes maritimes. Un statu quo a fini par prévaloir. Ailleurs, à l'ouest, sur la côte atlantique, bien des tensions se sont polarisées à propos de la délimitation des frontières marocaines.

Le Maroc a veillé à maîtriser ses eaux territoriales et sa zone économique exclusive pour faire face à des visées espagnoles dans les domaines de la pêche et de la recherche d'hydrocarbures. Ainsi, l'arsenal juridique a été actualisé dans le domaine maritime en avril 2020, sur la base d’une nouvelle réglementation. Reste encore le tracé des frontières maritimes qui doit se faire avec Madrid, pour ce qui est des îles Canaries. Il y a là un vide juridique; il fallait l'adapter à la pleine souveraineté du Royaume sur l'ensemble de son territoire et eaux territoriales mais aussi aériennes. Une actualisation donc de la législation nationale qui s'inscrit, comme l'a déclaré Nasser Bourita, ministre des Affaires étrangères, dans le cadre d'une «interaction constructive et responsable de notre système juridique interne avec le droit international».

La diplomatie marocaine est attachée à la paix et à la sécurité au Maghreb et dans l'espace régional. En direction de la Libye et de la profonde crise qui y prévaut encore, Rabat a soutenu la finalisation des accords de Skhirat en date de décembre 2015, prévoyant la mise sur pied d'un gouvernement, d'un conseil présidentiel ainsi que d'un conseil d'Etat.

C'est avec la même préoccupation de paix, de stabilité et de sécurité que le Maroc s'est attelé à définir et à «opérationnaliser» une stratégie de lutte antiterroriste saluée et appréciée pour son efficience par les grandes puissances. Une stratégie globale, multidimensionnelle aussi, a été ainsi définie et mise en œuvre. Elle s'est également appuyée sur l'élaboration d'un argumentaire démontant la propagande jihadiste et l'instrumentalisation de la religion à des fins politiques.

Avec l'Union européenne, le statut avancé accordé au Maroc en 2007 concrétise bien, dans le cadre d'une association, les secteurs de dialogue, de coopération et de partenariat avec l'UE.

Pour le roi Mohammed VI, au-delà des relations entre le Maroc et l’UE, il importe d'aller plus loin et d'œuvrer à promouvoir également un partenariat euro-méditerranéen et euro-africain. Il a ainsi appelé de ses vœux à une évolution vers un «pacte bi-continental» nouveau. En direction du monde arabe, le Maroc a toujours plaidé pour le respect de principes: unité nationale, intégrité territoriale, coopération, solidarité. Le soutien et l'engagement autour des causes arabes ont été indéfectibles. De même, avec le peuple palestinien, c'est un crédo de la politique arabe et internationale devant toutes les instances et aux Nations Unies. Le Souverain préside le comité Al Qods. A ce titre, il défend le plan de deux Etats dont l'un, palestinien, aurait pour capitale Al-Qods Acharif. En direction des monarchies du Golfe, la position du Maroc se préoccupe de consolider des relations équilibrées avec les pays membres et de resserrer les rangs pour faire face aux défis et aux menaces. Mais cette politique arabe n’est ni alignée ni rigide: elle veille à garder en main une autonomie d’évaluation et de décision.

Quant à la vision africaine du Maroc, elle se distingue par le principe cardinal d'une coopération Sud-Sud, un nouveau modèle de relations intracontinentales. Le Roi a effectué plus d'une quarantaine de voyages dans le continent et visité plus de 30 pays. Un millier d'accords ont été signés; c'est une coopération large, globale, qui a été ainsi établie; elle couvre tant les domaines économique, social que culturel que religieux. Le Maroc a retrouvé, en janvier 2017, sa place au sein de l'Union africaine, une place institutionnelle que depuis toujours il avait noué, et développé ses relations avec les membres de sa famille naturelle continentale. Le roi Mohammed VI prend à cœur les grands dossiers des intérêts supérieurs de l'Afrique; il porte la voix de ce continent dans les instances internationales. Il prône plus et mieux: que l'Afrique se prenne en charge; qu'elle doit faire confiance à l'Afrique; qu'elle regarde son avenir avec détermination et optimisme; et qu'elle exploite et valorise tous ses atouts et ses potentialités.

Une diplomatie ferme, autonome et globale: tels sont les grands marqueurs. Pour la défense de ses intérêts nationaux, le levier économique occupe une place particulière, dans ses multiples composantes: échanges commerciaux et accords de libre-échanges avec une centaine de pays, institutions régionales et internationales, intelligence économique…

L'offre Maroc présente des avantages comparatifs; le concept «Label Maroc» est ainsi mis en avant; le secteur privé est fortement associé à cette stratégie (RAM, Maroc Telecom, Addoha, ONEP, Bank Africa, Attijariwafa Bank –avec une mention particulière pour le groupe OCP, à telle enseigne que l'on a parlé d'une «diplomatie des phosphates». Des formules de coopération tripartite sont mises en œuvre, avec des pays ou encore avec des fonds mobilisés à cet effet.

D’un autre côté, l'accompagnement de cette stratégie s'appuie également sur l'élargissement des représentations diplomatiques dans le monde: en Afrique, en Asie, en Amérique latine et même les petits pays. Les organisations régionales et sous-régionales sont un autre pivot de cette diplomatie. Les liens sont resserrés avec les communautés économiques régionales du continent; avec aussi différentes organisations de sécurité régionales (la CEDEAO, où le Maroc est candidat depuis février 2017, la CEN-SAD, parlement latino-américain regroupant 22 pays, Association des Etats des Caraïbes (ABC), la SEGIB, Conférence ibéro-américaine, membre observateur de l’ASEAN etc.).

Au plan stratégique, le Maroc a capitalisé aujourd'hui un rang de puissance régionale et continentale. Sa contribution est significative et opérationnelle face aux défis sécuritaires de la région Sud-Atlantique (trafic de drogue, piraterie maritime, terrorisme et immigration clandestine), ainsi qu’en Méditerranée occidentale. Dans le domaine de la lutte antiterroriste, l'expérience marocaine est reconnue et appréciée par les grandes puissances et la communauté internationale. La stratégie est holistique: elle s'articule autour de plusieurs leviers. Il faut enfin relever un dernier versant de la diplomatie: il est d'ordre culturel et religieux. La valorisation et la mise en relief de l'identité marocaine est ainsi l'une des caractéristiques de cette approche. Autre aspect: celui de la diffusion d'une identité islamique propre, rehaussée par la Constitution – l’Islam d'Etat– et le statut du Roi, en tant qu’Amir Al Mouminine. Dans cette même ligne, est mis en avant et revendiqué le caractère modéré et tolérant de l'Islam marocain, «loin de tout obscurantisme ou radicalisme».

Un soft power à la marocaine qui accompagne et consolide une diplomatie en mouvement, proactive, intelligente, avec une doctrine. Des convictions et des principes. Tout cela est bien appréhendé par les partenaires. Et les adversaires. Ce qui donne à la diplomatie du Royaume une visibilité. Une lisibilité aussi. Un pays d'écoute et d'influence. Une nouvelle identité stratégique.

Par Mustapha Sehimi
Le 22/03/2022 à 08h59