Après l’Ukraine, le Kazakhstan?

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ChroniqueIl suffit que des vagues de persécutions soient enclenchées (sous de faux drapeaux ou non) contre la forte minorité russe au nord du Kazakhstan, pour amener la Russie et la Chine, qui y ont des intérêts économiques et stratégiques majeurs, à intervenir militairement dans le pays.

Le 27/10/2022 à 17h10

Si vous croyez que le sujet ne touche ni de près ni de loin le Maroc, alors vous vous trompez lourdement, du moins sur le long terme. Car dans le monde d’aujourd’hui caractérisé par un environnement VUCA, toute déstabilisation d’un acteur géopolitique majeur affecte de manière systémique tout l’ordre mondial, notamment en ce qui concerne le secteur de l’énergie. Et par ricochet, tous les autres secteurs de l’économie.

Nous allons donc parler aujourd’hui du Kazakhstan, qui fait partie de ces innombrables «stan», que le non initié a souvent tendance à confondre.

Situé au cœur de ce que les géopolitologues américains appellent le «Heartland» ou le «Pivot de la Terre», et fort de ces 2,725 millions de km2, le Kazakhstan est le neuvième plus grand pays du monde. Sa superficie, pour vous faire une idée, équivaut à 64,88% de la superficie de l’Union européenne.

Très faiblement peuplé avec ses 19 millions d’habitants et affichant un PIB de 193,6 milliards de dollars, le pays n’en demeure pas moins riche du point de vue des ressources, et de leur centralité stratégique dans le contexte mondial actuel.

En effet, le Kazakhstan détient les trois quarts des réserves de pétrole en mer Caspienne, et plus stratégique encore, il produit 33% de l’uranium mondial, nécessaire au fonctionnement des centrales nucléaires de par le monde, et possède 12% des réserves mondiales. De quoi attirer des convoitises de toutes parts, sachant que l’uranium 235 est extrêmement rare à la surface de la Terre.

Au niveau de sa position géographique, il est situé entre la Russie au nord, avec laquelle il partage la deuxième plus longue frontière au monde (6.846 km), la Chine à l’est, et le Turkménistan, l’Ouzbékistan et le Kirghizistan au sud. A l’ouest, son ouverture maritime sur la mer Caspienne lui permet de communiquer directement avec l’Iran et l’Azerbaïdjan.

Une position stratégique fondamentale, qui peut faire du pays autant un pôle de stabilité qu’une base de déstabilisation majeure de toute la région. Chose que les géopolitologues américains n’ont pas occulté dans leurs analyses.

En témoigne la centralité qu’accorde le grand théoricien américain Zbigniew Brzezinski à cette région d’Asie centrale, qu’il qualifie en 1997, dans son célèbre essai «Le grand échiquier», de ventre mou de l’Imperium russe.

Puisque depuis l’effondrement de l’Union soviétique, plus aucune puissance ne pouvait prétendre à une vraie hégémonie en Asie centrale. Il revenait donc aux Etats-Unis de profiter de ce flottement géopolitique pour se projeter dans cette région. La guerre en Afghanistan consécutive aux attentats du 11 septembre 2001 a été une tentative infructueuse de réaliser ce dessein.

Cependant, dans le contexte du bras de fer qui oppose actuellement en Ukraine Washington à Moscou, et vu le récent rapprochement technico-militaire entre Moscou et Téhéran, le Kazakhstan risque très prochainement de revenir sur le devant de la scène, et pas forcément de la plus joyeuse des manières.

Rappelons à ce propos qu’un mois avant le déclenchement des hostilités en Ukraine, le Kazakhstan a connu d’importants mouvements de protestations populaires contre l’augmentation faramineuse des prix des hydrocarbures, qui se transformèrent rapidement en dénonciation du népotisme et de la corruption endémique dans le pays.

Dépassé par les évènements, le gouvernement de Jassim-Jomart Tokaïev a demandé l’aide de l’Organisation du Traité de Sécurité Collective (OTSC), une alliance militaire créée en 2002 et qui regroupe plusieurs anciennes républiques soviétiques dont le Kazakhstan et la Russie.

Moscou envoie immédiatement plusieurs milliers de soldats sur le terrain, ce qui permit de stabiliser la situation. Moscou en profite pour dénoncer une énième tentative de «révolution colorée» dans sa périphérie immédiate qu’elle qualifie d’«étranger proche».

Du point de vue de Washington, ce n’est probablement que partie remise, puisque l’ouverture d’un deuxième front dans son affrontement par armées interposées avec Moscou est stratégiquement pertinente.

Là encore, l’étincelle qui pourrait embraser le pays est d’ordre ethno-culturel, puisqu'environ 30% de la population kazakh est ethniquement et linguistiquement russe. D’autant plus que depuis 2008, la Russie fonde de plus en plus sa politique extérieure sur une géopolitique du «monde russe», en considérant les minorités russophones dans les pays périphériques comme étant son prolongement naturel. Par conséquent, ces minorités tombent de facto sous sa protection.

Or, la complexité de la mosaïque ethnique au Kazakhstan n’a pu permettre l’émergence d’un sentiment national kazakh que par opposition à cette importante minorité russe principalement située au nord du pays, soit à la frontière avec la Russie. La généralisation de la langue kazakh, et l’émergence de discours politiques anti-russes dans le pays, n’ont été longtemps camouflés que par le jeu d’équilibriste assez habile mené depuis l’indépendance par l’ancien président Noursoultan Nazarbaïev jusqu’en 2019.

En effet, la politique extérieure du pays visait, durant toute cette période, à renforcer sa souveraineté, en opérant des arbitrages économiques entre la Russie au nord, la Chine à l’est et le monde anglo-saxon et plus globalement occidental.

Cependant, le sentiment anti-russe dans le pays ne cessa de gagner du terrain, amenant il y a quelques mois le nouveau président Tokaïev à critiquer frontalement l’opération militaire menée par la Russie en Ukraine, puisque du point de vue kazakh, le parallèle entre les deux pays (Ukraine et Kazakhstan) est criant.

Les deux pays partagent une frontière avec la Russie et abritent une forte minorité russophone, géographiquement limitrophe à la Russie. Seul bémol, étant enclavé au cœur de l’Eurasie, le Kazakhstan ne pourrait compter, contrairement à l’Ukraine, sur une aide occidentale directe en cas de conflit avec Moscou.

Pour conclure, contrairement au calme apparent que le pays connaît actuellement, le Kazakhstan est en réalité une vraie poudrière.

Il suffit que des vagues de persécutions soient enclenchées (sous de faux drapeaux ou non) contre la forte minorité russe au nord du pays, pour amener la Russie et la Chine, qui y ont des intérêts économiques et stratégiques majeurs, à intervenir militairement. De même, la proximité géographique de l’Iran pourrait amener également Israël à entrer dans la danse.

La conséquence immédiate est que l’économie mondiale, qui n’est en réalité toujours pas sortie de la crise de 2008, ne pourra survivre à un deuxième foyer de tensions majeures, avec tout ce que cela implique comme conséquences, autant pour le monde que pour le Maroc.

Par Rachid Achachi
Le 27/10/2022 à 17h10